jeudi 14 mai 2015

AF0483 - 14 mai : tours et retours

Paris
Après la rue des temps sauvages, tournez à droite.
Puis tout droit sur le boulevard du vieux cheval.
C'est là, tout au fond de la ville : l'origine ! Point de tous les retours. Elle se contorsionnera certainement, la ville, pour nous empêcher d'y parvenir. Alors prenons le temps. Il y a deux chouettes pâtisseries sur le chemin... Avec un bon café ?
Voilà qu'elle se tourne et se retourne encore pour pas qu'on y parvienne. T'auras beau aller tout droit, jamais rien infléchir, bras raides le long du corps, les jambes comme c'est pas possible : la ville se joue. Rusée comme la bête éternelle, elle incurve la voie pour mieux nous perdre. Façades penchées, rue obliques : si plus rien n'y paraît à sa place, serait-ce que l'observateur n'y est plus à son endroit ?


Tentative à l'envers
Par le passé, dans ce temps d'avant qu'on sache lancer des trains sous terre et couper des forêts depuis le ciel, elle était sage, la bête. Filait bien droit le long d'une rue unique. Un début, une fin. On y était petits et faisions quatre cent coups. Mangions du chocolat. Roulions dans la poussière. Dans ce cacao là j'avais plein d'amis qui plus jamais n'eurent de nom. Les dé-nommés ont tous disparus au virage, dans une venelle de la mémoire.
Désormais la ville comme la mémoire n'y sont plus que pour tromper. Tout s'est perdu dans les virages, dans les reflets ! Chaque écho interroge; toute question est renvoyée doublée, point en avant.
En fait, avec ou sans plan, je crois bien qu'on était tous perdus dès la ligne de départ.



Tentative à distance
Même loin, très loin de Paris, se retrouvent quelques échos perdus : "? unever es't iouaruop". 
Pourquoi t'es revenu ? Mais oui, pourquoi ? Il n'y a que des mauvaises réponses. Explorer une frange de réel improbable?, sonder la mémoire ? Je ne sais pas. 
Ici les souvenirs habitent dans des appartements bien, mais pas top. Il y a des rues, aussi, où hasarder quelques pas. J'y ai fait des photos qui toutes se sont égarées. Comme les amis, comme les noms. L'un avait un balcon. L'autre une terrasse qui tombait dans l'océan Pacifique. Une ville simple, en somme, peuplée d'adorables figures, et de questionnements.
Peut-être est-ce ici l'envers du point retour ? Comme un anti-retour fabriqué pour l'oubli...



Tentative de retour
Comment réussir le retour de l'anti-retour ? Voilà encore un coup à glisser sur une limbe et se fouler le poignet. Alors faisant bien gaffe à marcher en courbe, aussi penché que possible, j'ai entonné cahin-caha la petite mélodie de l'origine.  
Chemin faisant je croisais quantité d'autres paumés. Ils allaient pliant et repliant des cartes absurdes, enterrés sous de supers sacs à dos très compliqués. Une vieille technique pour pas se perdre, est de rester intègre. C'est pas un secret : tout est dans la chemise. Dans le pantalon, aussi. Ne jamais en changer, jusqu'à plus possible.
Qu'elle tienne seule, enfin, debout ! Qu'il soit béant, parfaitement épuisé. Et puis cette veste, vous savez, aussi salie, chiffonnée au coude, qu'un torchon de voirie. Dormir avec. Marcher avec. Rentrer avec. 



Dernier soir
A la fin ni les spectres ni les autres. Ne restait qu'un reflet, le même, perdu bien perdu et des pays et des semelles, les mêmes, tous à bout de souffle.
On s'est jetés au Grand Bolivar Hôtel pour une dernière de vrai repos. Du sac ouvert s'échappait un petit torrent péripétique d'aventures. Au milieu de tout ça un amas de poussière, une brosse à dent et foison de papiers inutiles. Alors une idée est passé par là : si on enlevait tout, l'inutile, l'essentiel, et le reste, il subsisterait encore la marque de toutes choses disparues.
Petite frange de poussière, nuance de gris, épitaphe virtuelle.


___
Il n'était personne et se tenait là, au milieu de ce qui n'était pas un pays mais une contrefaçon de pays, un lieu d'attente entre des trains à prendre; transition d'une façon d’être à une autre, qui, pour le moment, n'était ni cette façon-là, ni l'autre.