mercredi 30 décembre 2015

DT650, TP488 & AF6223 - 30 décembre : j’ai prié les cargos de la nuit

vous étiez bien, 
vous jouissiez fort ? 
là n'est pas le problème

De sa guerre contre le capitaine crochet et le crocodile, on n'avait retenu que la victoire. Mais il en était sorti marqué. Mélancolie ou syndrome du Golfe, une ride s'était dessinée ce jour-là dont personne n'a jamais eu cure.
Elle continua de grandir un temps. 
Puis advint le jour où Peter Pan mourut...


La mort, et pire encore : la même que tout le monde ! Un modèle simple fait d'autophagie, nécrose, apoptose... Voilà ton âge adulte, à défaut des idées, du projet de vie. La vraie échéance, enfin !

Histoire de n'en rien perdre, on fit bombance de jolis restes. Organisâmes un déjeuner sur la bête avec l'assemblée des fous. L'un croquant la cuisse, l'autre dévorant les joues, les oreilles... Délicieuse viande jeune, toujours fraîche, éternellement sanguinolente, arrosée d'un raki formidable : le bonheur ? Un état proche. Un festival d'endorphines.

Pour couronner ça nous fîmes une boum véritable, musique à fond, mousse au chocolat de maman, la bombe de cotillons qu'il faut et même une pêche de cadeaux. Mon amoureuse était des invités, mais pas bien contente, ça non, de me voir moitié nu, courant partout comme un chien fou. Ivre, de surcroît. C'est alors qu'elle m'a grondé, délice d'enfantillage, ultime écho de valeurs depuis longtemps perdues. Dernier retour à quelque chose de l'enfant qu'on avait dévoré ce jour...


Ni dou, ni dou 
L'instant d'avant c'était New-York. Non, Mexico. Paris ? L'instant d'avant là, derrière, n'est plus, sinon qu'un petit carré de réalité que reflète le rétroviseur. Éteignons ce reflet. Filons plein moteur - en avant toute : FULL AHEAD ! Partout autour ce n'est que brouillard, brouillard et nuit du nouveau présent. 
L'instant d'avant, ce petit disque de laiton ne voulait rien entendre. Pile, pile, pile et pile encore, faisait-il. A chaque lancer la pièce, se refusant à tout sauvetage, retombait à l'identique : pile encore!

Encore. Et encore.
Treize fois je lançais pile. 

Face, c'est Dou. C'est rester. Dire les mots. Mais pile encore et encore, une fois pile encore, quelle absurde pièce est-ce là ? La nuit approchant, le zinc maculé de traces d'impact, la main douloureuse, vint l'heure du dernier essai.
Je la tapotais au coin du comptoir. Soufflais très délicatement dessus. Ultime lancer, meilleure tentative. Vole, petite !
La pièce s'éleva en virevoltant avec un léger sifflement. Tournoya... Tournoie encore, et toujours siffle : des heures, des jours je restais là, à la contempler. Le maudit fuckin' bout de métal ayant trouvé quel non sens donner à la vie, assuré d'avoir tort face à l'académie des sciences est resté ainsi, suspendu en l'air. Ses reflets intermittents semble me narguer, envoient un éclat impossible.


L'avion allait pour partir, alors je les ai laissées là - la pièce, la femme, la réalité. Le réel empoisonnée par ce miracle tourne désormais à sa suite. Plus rien de droit, ni perspective ou mur ou chaise, rien de stable où poser le regard, s'appuyer, jeter le coin d'une fesse.
Dou et Dou sont restés là, indissociables du mal aimé. Et restent là, quoi que le temps érode, intacts, unis. Avec la distance leur unité ne fait plus défaut, ils sont ce point central du corps, noir et net dans le brouillard qui nous confond.

Indolence et neurasthénie sont en bateau
Échouer à terre ou échouer en mer, finalement, c'est toujours échouer. Mais échouer c'est aussi atteindre un rivage. Achever la dérive. Cesser la petite histoire détricotée, ce balancement de vagues et d'invariété.

Comme les membres lors du coït, les lignes se croisent. De l'enchevêtrement des corps, de nos plaisirs en attente, de nos plaisirs en allés, ne subsiste plus rien qu'un état de confusion absurde. Il n'est rien qui y échappe. jusqu'au désir, jusqu'au plaisir se voient confondus par cette onde surmarine. On a pourtant rien fait de mal, que croire et laisser croire. Penser, imaginer. Pure projection. Manque de clarté ?

N’ayant plus rien à perdre ni Dieu en qui croire
Afin qu’ils me rendent mes amours dérisoires

Et je garde cette espérance d’un désastre
Aérien qui me ramènerait Melody
Mineure détournée de l’attraction des astres.

Prières et pensées, mal carénés pour cette tempête, ont bientôt échoué comme le reste. Que faire ? Tous présents confondus, les gestes du quotidien s'amoncellent en désordre. Sombrer dans une délicieuse indolence ?
Là, privé de variété, l'esprit ne s'invente plus. La mémoire n'est plus peuplée que de routine. Faire laver mon linge. Porter le sac en laverie. Ne l'ai-je pas fait hier ? Ou étais-ce il y a déjà une semaine ? Même couloirs, même porte, l'espace vient à manquer. Le moindre geste atypique surprend l'intimité de nos routines, mettant soudain à nu la formidable atonie du quotidien. J'arrête vivement le geste déplacé, ce risque de retour au réel. Les gestes routiniers sont notre sauvegarde. Nos derniers réflexes. Il n'y a qu'eux ! Derrière eux, se cacher. Disparaître au présent.


Collision du divin enfant
A ce compte, même préparé, le retour au réel est une drôle de blague.
Dans la pièce où j'entrais des humains se trouvaient réunis. Chacun avec son petit baluchon de joies et surprises, avec sa liste au père noël. Ce soir là tous les pieds coïncidaient sous toutes les tables. Des humains parlaient en bougeant les lèvres. Ouvraient des bouteilles de Haut-Médoc. Hommes, femmes, enfants, gens de toutes sortes. Mains variées, locutions engageantes. Ici tout est coloré, chatoyant, les questions fusent, tarabiscotage de percepts !
L'encéphale en saturations ne perçoit plus que le battement de la grappa contre les lobes temporaux. Comme les circuits reconnectent un immense vide se fait. Vacuité du récit, propos à terre : il n'y a pas grand chose à dire. Juste ce grand rien, si difficile à exprimer. Envolons les bouchons, buvons à la vie renouvelée !
Ainsi à chaque retour du grand néant convient-il de se ré-agréger, dans le désordre qu'il faut. Tout un truc, tout à trac. La femme et l'homme, je ne sais pas. La femme sans l'homme, je ne sais pas. Ni l'un, ni l'autre, certainement. La solitude réinventée.

C'est seulement récemment que j'ai repensé à la pièce. Je pense souvent à elle désormais. Sa nature pile et face. N'ayant plus de pièce à lancer, je choisis de tomber sur le flanc, rien que le flanc, voilà. Plus bouger.

L'été est fini. Maintenant c'est l'hiver
et tu n'as pas eu les couilles d'affronter le froid.

mercredi 28 octobre 2015

AM409 & AF439 - 28 octobre : la linea que nos une


Il est des choses fragiles, d'autres incertaines.
Prenez les deux tours, là. Elles tiennent, sont parallèles.
Tiennent-elles, le seront-elles plus jamais ?
Fragiles et incertaines comme le souvenir qu'on a bientôt plus d'elles, comme celui que j'aurai de toi.

Je me souviens qu'elle est fractale, droite et courbe, à toute les échelles. Infiniment tortueuse d'où qu'on la regarde. La ligne qui joint ce bout et cet autre, ton nombril et plus rien, la ville et ailleurs. Cette ligne entre rien et nulle part est d'une autre dimension : imaginaire. Ou pire.


Le doigt en souvenir
Pour tracer cette ligne on avait prévu tout ce qu'il faut, bien ce qu'il faut : règle, compas, rapporteur, pistolet et une once d'harmonie, même, qu'est pas indispensable, mais jamais superflue.
"Enchanté" - "enchantée", au départ comme dans un rêve on se séparait pour rire sans savoir si on se reverrait jamais. Deux aéroplanes, deux chemtrails parallèles, deux chemins reliés par un ruban de fumée se tracent au ciel. Puis un peu plus tard, un ailleurs et elle, et lui, nous, les mêmes, bien arrivés et réunis sur un autre continent : ce n'était pas un mauvais rêve.

La suite n'est qu'un voyage.
Celui-là ou un autre. Celle-là ou une autre.
Toujours cette affaire d'homme, de femme, de pays. Cette fois ils ont ajouté quelques vélos dans les rues, histoire d'aller plus loin. Chaque rencontre, chaque endroit, chaque nouveau lieu est alors une petite épreuve. Et chaque épreuve, une victoire, car tout va pour le mieux...


Incodifiable bretelle
Comme on se marrait bien, la césure s'imposa.
Ecarter ces deux êtres, voir une autre ville.

Dans le voyage il y a cette composante de syntonie, la recherche de l'accord harmonique qu'il faut entre l'être et l'espace. Confrontés alors à une nouvelle géométrie, les sens s'organisent pour appréhender l'altérité. Travaillent un temps, se projettent dans l'espace afin de l'acquérir et bientôt : l'arpenter.
Soumise à ce filtre, Mexico se fit rétive. Penchées comme ça dans le souvenir, ses rues se révélèrent sens contraire, pente opposée, comme secouées par une tempête fantaisiste. La ville se refusa, ou plutôt : se révéla sur une autre gamme. Il s'agissait bel et bien d'elle, ses habitants, ses bazars. Seulement couleurs, espaces, se trouvaient mâtinés de variantes, petite nuance de tout. Tiendas, cantinas, ruelles, jusqu'aux façades d'immeubles entièrement travesties pour mieux me confondre...

Enfin, après probation, léger délai et moult bières, Mexico se redécouvrit. Comme toi bientôt : tout à fait la même, complètement différente. Sans doute les villes ne se montrent-elles que comme on veut bien les percevoir. Qui se cache derrière notre désir, qui au-delà de nos égos malmenés ? Qu'est-ce qui a changé en nous pour la changer autant ?
C'est que l'esprit lui-même doit s'accorder à la ville, alors je ne suis plus que ce qu'elle veut bien donner et vouloir, le visiteur, appariteur, parasite d'un instant. Quand seront tombés les masques, la ville redevenue celle de toujours, toi l'inconnue, moi le connard, toute magie envolée, il restera un beau néant. Dans cette obscurité nouvelle, peut-être verra-t-on luire quelque espoir ?


Rescue mission 
Comme à l'origine de toutes les grandes défaites, l'intention, n'était pourtant pas si mauvaise. 
Il y avait ce voyage, ce chapeau, ce bar. Deux années peut-être trois depuis que l'un s'était achevé sans l'autre dans le troisième. Désormais, quelque part dans cette ville repose ce trésor, caché dans quelque tripot interlope.
Il n'y a plus qu'à : venir, retrouver, repartir. L'affaire de quelques bières, tout au plus. Mais l'enjeu n'est pas si dérisoire. Derrière l'énigme de ce souvenir enfoui se joue plus que la suite du voyage.


Puis de l'idée à la réalité restent ces quelques centimètres, ceux-là qui si facilement bouchent les ports et changent les existences. Aussi très vite, confondu par la ville, perdu à mon tour, quelque chose d´une transition autrement plus importante se joua là. 
Ne répétais-je pas chaque matin, chaque départ, chaque arrivée, la litanie des objets à ne pas perdre ?
Mais le voyage remettant en cause les prières, les promesses, les convictions, se chargea de solder tout ça. Tu voulais juste passer pour voir, rien risquer ? Voilà qu'il met et remet au tapis la vie, la santé, la mémoire, et le reste.

Trop d'habitude, un instant d’inattention : il suffit de rien.
Au retour à Paris : tête nue et mains vides. Je n'avais plus rien à offrir et ne le savais pas encore...

___
Si les voyages sont la continuité d’une recherche de compréhension de soi, il y a face aux cultures, une certaine confrontation qui brise notre miroir : on ne se voit plus dans l’autre. Et, quand on revient au pays, de nouveaux miroirs se forment mais toujours plus fins et plus fragiles que leur prédécesseur.

jeudi 1 octobre 2015

LH561 & LH1028 - 1er octobre : petite nuance de bleu

Je suis en mer et les jours passent
ce jour passe et le suivant
puis les autres en tout semblables, que ma fatigue indiffère.
Combien ? Pas beaucoup ? Combien ? Pas encore assez. Combien !?! Ne compte pas !
Ils sont tous le même, sans plus ni moins, presque rien de travail, diablement monotones, foutrement bien payés.
Quarante années semblent avoir passé. 
Se peut-il ? Il semble.
Des regrets ? Comment ? Pourquoi !
Rien de tout ça. Juste la mer. Et les jours.


Des collègues, aussi. La routine. Et l'ennui.
Oh, cet ennui. Terrible ennui implacable ennui permanent; solide poussière dans le quotidien partout imbriquée. L'ascèse presque parfaite achoppe sur quelques détails bêtes, mais bêtes!, alors il surgit. L'ennui, l'ennui, l'ennui.

Celui de ne même pas savoir disparaître dans l'imaginaire. Celui du quotidien, avec les gens du quotidien, des gens somme toute individuels, un et un puis un autre et encore un, unités sans étincelles, petites choses molles qu'on peine à prendre au sérieux. Mais l'ennui ! Voilà un obstacle au-delà de notre perception. Notre redoutable écueil.

J'y suis j'y reste
j'y coule j'y disparais 
bientôt plus rien, que le corps, et encore
rien que le corps...
cependant parfois je pense, on se demande bien quoi et comment
par exemple dans la salle de sport. toujours la même cérémonie, la même musique, la même solitude : cette monotonie draine quelque chose de neurones oubliés. au même geste, chaque jour, la même pensée. Comme drogué bientôt je ne sais plus si ce geste est imaginé ou réalisé, pour la première ou millième fois. Alors la pensée, itou, continue ses tourbillons autour de la même image, idée fixe où parfois tu surgis, je pense à cette savoureuse plâtrée et un doute m'assaille, on a dit quoi déjà, quelle était la recette précise ? et ça me travaille, expiration, uff, travaille, lever de bras, ouf, inspiration, travaille... 


De loin en loin un marin par l'espoir déraisonnable rendu amnésique s'en va courant tout droit, le malheureux pousse un dernier cri et hop, plouf, l'eau bouillonne, il disparaît, nous savons tous qu'il n'y a rien à faire.
Tout coi bien tranquille, savourant le virus qui me ronge, heureusement enfui dans les cotons d'une fièvre légère, je déguste la perspective d'un départ aérien. 
Je regarde l'horizon, l'horizon me regarde, j'avais pas fait gaffe avant. Une baleine passe en battant des ailes. La lune était rouge, ils m'ont montré. Cette nuit la fièvre qui me tenait est partie, poussée par cette nouvelle fièvre de vivre. J'ai dormi comme ailleurs, différemment. Le chemin est clair désormais, claire la route qui part, s'éloigne de ce navire, revient à la terre, à la ville.

A force d'impatience ce souhait se réalise, ça sent la terre.
Bientôt le corps se rend compte. Le toquant redémarre.
Alors comme tout ce sang circule à nouveau, touche la mémoire, me reviennent cette chose et l'autre. Un nom. Les verbes. Agir, regarder. Sortir de léthargie.
Je me souviens ! Le temps reprend son cours, l'urgence me bat les tempes. Sorti de là, l'urgence des choses simples me frappe. Manger, rire, bouger, faire l'amour.

http://suzychic.com/

Toute cette liberté, effrayante perspective. 
Le maton ouvre la porte étanche, "Aller, filez!!! On veut plus vous voir." 
Revoilà le monde, le même, mais différent,
avec toi, la même, mais différente,
et tout le reste. Le temps a passé, combien de temps à passé ?
Quarante années et rendu là 
sonné, le corps, assis, l'homme.

Le foie, les muscles
entre douleur et courbature, 
rien ne va, plus rien, que le mal d'être bien vivant, sorti de catatonie
alors je raconte - essaie - échoue - essaie à nouveau. L'exercice est hasardeux
libre d'énoncer, choisir, égrener le chapelet des lieux qui sont partout différents et ailleurs qu'ici. Sorti du quotidien outrancier, éternel, les mots n'y sont pas. Je bafouille. 
___
les jours passent vite alors qu'on aurait pu croire le contraire lorsqu'on est là, assis, à attendre je ne sais quoi, à boire et à boire encore jusqu'à devenir le prisonnier des vertiges, à voir la Terre tourner autour d'elle-même et du soleil même si je n'ai jamais cru à ces théories de merde que je répétais à mes élèves lorsque j'étais encore un homme pareil aux autres

jeudi 6 août 2015

4U8424, AF53341 & AF50716 - 6 août : longue césure spirale

Courageusement, prendre la fuite. 
A la première occasion la prendre. N'importe quelle porte fera l'affaire. 
Là, on parle du grand est, au-delà du rideau de fer, et je pense tiens, je pense ah, je pense à peine, que c'est trop tard. L'idée du départ a déjà fait sont lit dans les méninges. Bientôt me voilà embarqué, bon gré mal gré, dès le lendemain, c'est plié : l'avion se dresse et file.
Le cahier des charges, faut dire, était fort exigeant : ne plus quitter l'hexagone, se cantonner à la proche nation, rebondir sur les cordes frontières. Ça aura tenu. Un temps. Deux semaines.

Particule indécise, un jour la vie va se rappeler à toi, en bon ou en mauvais, à Mâcon ou à Beauvais. A Toulouse ? Alors que l'avion vient de reposer ses gommes à Orly, une douche est tout ce qui fait défaut à mon extase. De l'eau vive. Un savon. Quoi qu'il advienne, on aura réussi. Réussi à ne pas se rater, trouver le lieu où se dire et faire, la manière de prendre et serrer, faire l'amour, refaire encore.  
Ainsi se consacre le choc après la rencontre des corps. Il suffit d'écrire le principe de conservation de l'énergie. Choc. Les corps échangent ? On ne sait pas. Élastique ? Ça dépend. Bien ? Encore !


Mais partir ! Partir, comme on saute.
Ça va encore. Sauter ne fait que peur.
Mais revenir, comme on retombe au sol ? L'instant de voler est bien court. Dure la chute. Qui saurait, qui voudrait tomber ? Qui ne voudrait pas s'abstenir ? Abstenons-nous.
Comme la petite souris me souffle l'idée, m’insuffle l'envie, discrètement je change de partition. Tente l'esquive. Comme dans un mauvais sketch ce sera : saute par la fenêtre, rentre par la porte. Et plutôt que revenir, à cette occurrence, l'avion -confident opportun- me déporte à l'envie. Alors, comme vol plané, l'errance se prolonge - à pied, en stop, au bord des mers, dans les montagnes...

Le retour vers Paris se fera en lente spirale. Au maximum de finesse, deux belles semaines pour toucher terre, par un avion, par un autre, glitch des villes, des sommets. Suivant tous les souffles, siroccos, pompes thermiques de l'été, se laisser porter un peu, comme ça : hop.


Mais l'inéluctable?, comment sera cette chute ?
Au fil du voyage elle se fait prégnante. Chaque jour cependant subsiste l'émerveillement d'être encore en l'air ; ne pas y penser, entretenir l'hypocrisie... Cependant le sol veille, inévitable. Indicible déception que la gravité, newtonienne ou générale suivant la vitesse atteinte, viendra proclamer tôt ou tard. Au milieu d'un sentier de montagne, quelqu'un a gravé sur une pierre 
\sum{\vec{\mathrm{F}}_i} = m \vec{a}
Malice d'une marmotte savante, randonneur malveillant ? Prémisse de fin, le fondamental de la dynamique me sonne comme une claque. Bientôt perdre de l'altitude, gagner de l'énergie cinétique à ne plus savoir qu'en faire...

Dès le lendemain, sortant de cinq jours sur les beaux sommets de Néouvielle, Gléré, Orédon, l'instant s'annonce. La chute est imminente. Reprenant pied sur une route de col je pose mon sac au sol, lève le pouce, entame sans méfiance le dernier acte. 
Une camionnette s'arrête et me dépose bientôt en fond de vallée, à la croisée des routes. Sainte Marie de Campan - petit village de France. Ses hôtels, son auberge, son bar, son kiosque et sa flopée de cyclistes. Après le sevrage de la marche, entre fatigue et gourmandise, voilà la chair faible et le piège béant. Sans trop y penser je choisis l'auberge, alors tout bascule. 
On m'y sert un menu complètement absurde: florilège de poisons, verre du condamné, potage d'amertume à la sauce vitriol. Un brouet mal décongelé entouré de mauvais pain apparaît sur la table. Garder les yeux. Ouverts ne pas. Tourner de l’œil. Tenir bon pas toucher. 
Le truc rouge posé à table ressemble à une bouteille, l'étiquette comme sentence définitive : 'Origine de la Méditerranée'. Tudieu ! What
Sacrée chute!, tout semblait abject, parfaitement infâme. T'aurais fait quoi, toi ? Sous l’œil vigilant du chef de salle et du cuistot armé, il fallut souper, mastiquer, ingérer ces chefs d’œuvres agro-industriels. Pensant quelque épitaphe à dissimuler dans mon vomi avant de mourir, je me précipitais aux chiottes. Alors sans plus réfléchir coincer. La porte chaise. Sous la fenêtre sauter. Tomber plus encore une voiture.    


J'en réchappais ! Sauter de la voiture. Monter dans un bus.
Voilà Tarbes. Ooooh, Tarbes! Une autre cause d'affliction. Là, ce jour, urbanisme, géographie et ambiance se firent de concert repoussoirs aussi efficaces que le pire bumper du meilleur flipper. Merde. Tiltons pas. Fuir encore.

Le choix s'est alors offert une dernière fois – continuez la chute ou rendez les armes, m'a glissé l'arbitre au comptoir. Le coach, sautait tout autour avec sa serviette : frappe ! Frappe ! Coup pour coup ! 
Uppercut du train vers l'ouest ! Coup de l'avion plein nord ?  
J'ai fini ma bière et sans plus réfléchir me suis couché. Vive la débandade, gloire à la capitulation !

A peu, à rien, à quoi se joue un belle défaite ? 
A quoi ressemble une fuite contrainte à un hexagone de cordes élastiques ? 
Pas causante, la vieille serveuse au bar de l'aéroport a été sympa. Sans répondre elle m'a laissé à la contemplation de la tasse vide. Prestement allumé un cierge pour veiller le cadavre de l'échappée. Chassé tous les prédicateurs et mieux curables qui passaient par là, au retour de Lourdes... 
On a attendu le tout dernier appel, comme ça, pour se laisser une chance, mais comme les vapeurs du vin finissaient  de se dissiper, le retour était déjà avéré.

___
C'est affamé et bien gourmand que je me suis posé à votre table pour déjeuner un dimanche de début août, après une longue et belle randonnée.
Grand mal m'en a pris - je suis parti sans finir, terriblement déçu, presque offensé!, par le brouet qui m'a été servi. Je n'irai pas jusqu'à publier un avis négatif sur internet, mais tout de même, étais-ce mon palais ou un sortilège de cuisine?, j'aimerais que vous répondiez à une question : les aiguillettes de canard que vous avez au menu ont-elles jamais été débitées, préparée et cuisinées par vos soins ? Elle goûtaient étrangement le précuit.
Votre salle était cependant belle et typique. L'accueil pas mal. Mais ce plat, le pain qui l'accompagnait, et le vin particulièrement mauvais. Bonne continuation cependant, j'espère que mon message ne vous vexera pas trop. 

jeudi 9 juillet 2015

LH561 & LH1028 - 9 juillet : dépaysé partout et pour toujours

Comme sorti d'un gigantesque bain amniotique, je reprends pied sur terre au milieu d'une flaque d'eau salée. Terre. Un sol sans houle. Ébrouant le poil trempé, inspire à nouveau les parfums du monde.

Le confinement est achevé.
Sorti du manège, le forain me tend quelques effets personnels. Passeport presque introuvable, tout pâle d'être resté immobile si longtemps. Argent rendu solide par le manque d'usage, qu'il faudra écouler bientôt, d'une manière ou d'une autre. Les chiffres du code bancaire me reviennent par bribes, ça resservira peut-être. J'enfile quelques vêtements de ville et rejoins les chanceux à la porte de débarquement. Piotr, Alex et Robert ont les yeux qui pétillent et ce sourire figé des condamnés à vivre. 
Il nous faudra bientôt réapprendre à exister en liberté. Retrouver les mots, oublier les injures. Casser la gangue de sel, retoucher à mains nues la société pour ce qu'elle est. On en était où ?

Mais d'ailleurs, comment user de cette liberté rendue ? Comment compter le temps qui reste, ne pas dépenser tout d'un coup, au tapis du premier soir ? Reprendre l'usage, retrouver l'habitude, enfin, le goût, tout ! Comment sera la première gorgée, comment le premier coït ? C'est tellement mystérieux vu de loin, tout ce foutoir d'hommes, de femmes ; on ne pense qu'à ça, cependant on oublie tout. Mystérieux foutoir. 
Corps et idées comme sortis d'un bain de jouvence, on ne compte plus les rides d'éternité et de manque que cachent nos sourires... Il faut la cérémonie, pas seulement d'immersion alcoolique. Un simple baptême déjà, va et jouis, à base de pain, de beurre, de vin. Attention, que du bon, hein !
Alors boira mangera jouira, puis reposera. Éructer, enfin, bientôt. Puis reverser dans n'importe quoi, n'importe comment. Arrh, amen !


Donc je rentre. Je rentre donc.
Aime à nouveau. Copule sec. Reprends ce qu'il faut d'active, comme il faut. Puis il y a cette rencontre. Cette femme. On va se cacher derrière un arbre mais notre joie déborde, éclaire la nuit. Bientôt l'arbre est couché, il n'y a plus que les étoiles. Six semaines saumâtres exsudent par tous mes pores. Où avions-nous la tête ? Nous n'avions pas la tête. Pas le corps. Ni l'idée. Évaporée, ou sublimée ?
Là-bas, c'était la mer. La conscience seule y subsistait dans un éther de rien. La conscience mole et fripée, toute de méandres lascifs. Entrelacs de fils, idées qu'on ne déroule pas, qu'on ne pêche plus, car le règlement ne veut pas, car tous les métaux lourds ont précipité là, au cœur de l'esprit.
Désormais il y a l'homme, il y a la ville. 
Plus rien ne les sépare que le temps écoulé. Ce qu'il faut pour renouer entre eux est indicible, impondérable...

A ce départ le temps était parti, plus loin encore que la carne, enfuit dans une belle routine trop fastoche, enterré derrière l'horizon. Débarrassé du temps je ne tartinais mes jours plus que de routine, rongeant chaque tranche diurne avec patience.
Dans cette patience, et au-delà, est une part de disparition aboutie. 
De fait, au retour on ne se retrouve jamais complètement. Il reste l'homme ; il y a la ville. Bonheur plaisir et agapes qu'il faut. Cependant quelque chose, dans l'absence : a muté.
Il y a l'homme, la ville toujours. Dans son pas, dans ses errances, ce quelque chose, comme un écho, n'est plus qu'une trace. Légère apesanteur du talon, moindre prégnance au réel, quel est ce vide, quel manque, quelle part essentielle, inutile, fait défaut ?

Reste que l'homme, la ville, et puis la femme, aussi belle que bien là, comme l'arbre soudain couchés, viennent opportunément combler cette vacuité de l'urbain, et de l'idée.
La femme, c'est quelque chose. Tout l'espace se trouve soudain empli de sa flagrance. Aucun voisin, pas un passant qui ne puisse l'ignorer. Elle imprime l'esprit et irrigue tout le corps comme un alcool subtil. S'immisce là et insidieusement, partout. 
Une lueur se fait alors. Tout est sensiblement semblable, mais différent.
L'homme, comme la ville, reprennent la danse qu'il faut, saisis d'une passion nouvelle.

Mieux et plus encore.
Content et satisfait.
Barbu et différent.
Car revenir, c'est aimer un peu. Revenir, et revivre.

___
Là-bas tout au loin, c’était la mer. Mais j’avais plus rien à imaginer moi sur elle la mer à présent. J’avais autre chose à faire. J’avais beau essayer de me perdre pour ne plus me retrouver devant ma vie, je la retrouvais partout simplement. Je revenais sur moi-même. Mon trimbalage à moi, il était bien fini. A d’autres !… Le monde était refermé ! Au bout qu’on était arrivés nous autres !…

jeudi 14 mai 2015

AF0483 - 14 mai : tours et retours

Paris
Après la rue des temps sauvages, tournez à droite.
Puis tout droit sur le boulevard du vieux cheval.
C'est là, tout au fond de la ville : l'origine ! Point de tous les retours. Elle se contorsionnera certainement, la ville, pour nous empêcher d'y parvenir. Alors prenons le temps. Il y a deux chouettes pâtisseries sur le chemin... Avec un bon café ?
Voilà qu'elle se tourne et se retourne encore pour pas qu'on y parvienne. T'auras beau aller tout droit, jamais rien infléchir, bras raides le long du corps, les jambes comme c'est pas possible : la ville se joue. Rusée comme la bête éternelle, elle incurve la voie pour mieux nous perdre. Façades penchées, rue obliques : si plus rien n'y paraît à sa place, serait-ce que l'observateur n'y est plus à son endroit ?


Tentative à l'envers
Par le passé, dans ce temps d'avant qu'on sache lancer des trains sous terre et couper des forêts depuis le ciel, elle était sage, la bête. Filait bien droit le long d'une rue unique. Un début, une fin. On y était petits et faisions quatre cent coups. Mangions du chocolat. Roulions dans la poussière. Dans ce cacao là j'avais plein d'amis qui plus jamais n'eurent de nom. Les dé-nommés ont tous disparus au virage, dans une venelle de la mémoire.
Désormais la ville comme la mémoire n'y sont plus que pour tromper. Tout s'est perdu dans les virages, dans les reflets ! Chaque écho interroge; toute question est renvoyée doublée, point en avant.
En fait, avec ou sans plan, je crois bien qu'on était tous perdus dès la ligne de départ.



Tentative à distance
Même loin, très loin de Paris, se retrouvent quelques échos perdus : "? unever es't iouaruop". 
Pourquoi t'es revenu ? Mais oui, pourquoi ? Il n'y a que des mauvaises réponses. Explorer une frange de réel improbable?, sonder la mémoire ? Je ne sais pas. 
Ici les souvenirs habitent dans des appartements bien, mais pas top. Il y a des rues, aussi, où hasarder quelques pas. J'y ai fait des photos qui toutes se sont égarées. Comme les amis, comme les noms. L'un avait un balcon. L'autre une terrasse qui tombait dans l'océan Pacifique. Une ville simple, en somme, peuplée d'adorables figures, et de questionnements.
Peut-être est-ce ici l'envers du point retour ? Comme un anti-retour fabriqué pour l'oubli...



Tentative de retour
Comment réussir le retour de l'anti-retour ? Voilà encore un coup à glisser sur une limbe et se fouler le poignet. Alors faisant bien gaffe à marcher en courbe, aussi penché que possible, j'ai entonné cahin-caha la petite mélodie de l'origine.  
Chemin faisant je croisais quantité d'autres paumés. Ils allaient pliant et repliant des cartes absurdes, enterrés sous de supers sacs à dos très compliqués. Une vieille technique pour pas se perdre, est de rester intègre. C'est pas un secret : tout est dans la chemise. Dans le pantalon, aussi. Ne jamais en changer, jusqu'à plus possible.
Qu'elle tienne seule, enfin, debout ! Qu'il soit béant, parfaitement épuisé. Et puis cette veste, vous savez, aussi salie, chiffonnée au coude, qu'un torchon de voirie. Dormir avec. Marcher avec. Rentrer avec. 



Dernier soir
A la fin ni les spectres ni les autres. Ne restait qu'un reflet, le même, perdu bien perdu et des pays et des semelles, les mêmes, tous à bout de souffle.
On s'est jetés au Grand Bolivar Hôtel pour une dernière de vrai repos. Du sac ouvert s'échappait un petit torrent péripétique d'aventures. Au milieu de tout ça un amas de poussière, une brosse à dent et foison de papiers inutiles. Alors une idée est passé par là : si on enlevait tout, l'inutile, l'essentiel, et le reste, il subsisterait encore la marque de toutes choses disparues.
Petite frange de poussière, nuance de gris, épitaphe virtuelle.


___
Il n'était personne et se tenait là, au milieu de ce qui n'était pas un pays mais une contrefaçon de pays, un lieu d'attente entre des trains à prendre; transition d'une façon d’être à une autre, qui, pour le moment, n'était ni cette façon-là, ni l'autre.

vendredi 24 avril 2015

IB8754 & AF6219 - 24 avril : express transeuropéen

The prettiest girl
in all the world
Check list de retour
Enlevée la croûte de sel, qu'est ce qu'il reste ?
Voilà Paris où être, où ne suis plus trop ?, où sont tous. Où suis-je ?
Verres, croissants, nuits comme ça et agapes ce qu'il faut.
Et maintenant ?

Clearance de départ
Un appartement envahi, presque festif.
Elle avait une fleur dans ses cheveux, une bouche comme ça et un verre la main. On a vu telle ou telle autre pièce, da igual, puis au retour sa voiture en panne la nature en folie, toute cette tension. Une tension qui aurait facilement relancé le moteur et propulsé notre gai équipage jusqu'au bout, voire au-delà. Cependant on a plutôt laissé le dépanneur faire ses bricoles et achevé la nuit dans un délire de draps froissés.

C'était hier, quinze ans, pays aimé, instants chéris, j'arrive !
On s'est dessaisis dans la jolie lumière de printemps : c'était un 24 avril.
Aujourd'hui, retour dans le frais printanier : 24h ! 24h ! Vingt quatre heures au pays du toujours toujours, de la jeunesse, de l'anamour, du pueblo magnifico al cual mejor nunca volver. J'y suis sans en être, cependant que chaque fibre y participe encore, voudrait, se détend sous la chatouille de quelque regret rétrospectif.
On fera un monument, une carte, une épitaphe, un ex-voto à cet ancien amour, à cette évidente réalité devenue caduque. On fera tout. On fera rien. Pas l'temps.
C'en est là !
Voilà le reste !
Sans même finir sa bière, le ce qu'il en reste vous salue bien. Ça, et rien d'autre qu'un peu de cendre grise où disparaît ce reste : visage, fleur, pueblo.

Décollage
Vingt quatre heure.
C'était l'Espagne comme étrangère, quand hier encore je la serrais contre moi, lui promettant toujours, jamais, maintenant, avant de carapater comme on tombe dans une crevasse. L'avion seul a hésité, tracé quelques figures ésotériques au dessus du territoire. Un battement d'aile. Au revoir. A bientôt ?

Le cimetière des éléphants est là. Encore quelques siècles, le temps de perdre toute cette peau d'homme, achever la mue. Devenir un pachyderme comme les autres parmi les souvenirs enfouis.

C'est inéluctable : on devient tous.
Même dénués d'intentions, sans poursuivre la moindre idée, le temps y tient qui nous confère une structure, une matière. Alors on devient... quelque chose. Parfois même, quelqu'un. Les os la chair le sang se veulent vivants, alors on incarne. Même caché, bien caché, voilà l'être advenu. Il porte une chemise mais pas toujours. Il y en a même qui disent l'avoir vu danser...

___
Il faudrait un jour qu'elle sache dans quel sens s'écoule le temps, s'il est linéaire ou trace les cerceaux rapides d'un hula-hoop, s'il forme des boucles, s'enroule comme la nervure d'une coquille, s'il peut prendre la forme de ce tube qui replie la vague, aspire la mer et l'univers entier dans son revers sombre, oui il faudrait qu'elle comprenne de quoi est fait le temps qui passe.

vendredi 17 avril 2015

AF929 - 17 avril : tressaut, jubilation

Comme au premier essai : même contrainte, même libération.
Venir et revenir étaient sur le bateau. Venir tombe à l'eau.
Le bateau est dans l'île comme l'île est dans l'eau.
Imbrication, nénuphar océanique. Promesse de retour...


La mer oscille. Elle fait ça la mer.
S'essaie vaguement aux modèles de Stokes ou Gerstner. Le nénuphar, lui, n'en mène pas large. Accompagne, bouge en tous sens, grandit un peu. Tous et chacun portons, comme la fleur, cette notre insularité. Œil unique au centre du front, mouvant, incontrôlé.

Avec ou sans mal de terre, les premiers pas d'un homme libre transcendent l'espace. Car ce ne sont ni l'homme, ni la liberté, mais les pas qui font ce monde submergé de géographie. Le big bang, c'est formidable, mais ça n'existe pas au pays de la voiture reine. Le grand boum, ne tient  qu'à un pas.
Il n'y a qu'à marcher, simplement marcher. Alors l'univers s'ouvre comme une boîte à musique. Expansion. Mélodie.
Il n'y a qu'à courir, voilà qu'il explose. Alors voler filer au plus loin, au plus vite, ne sont plus notions de mouvement, mais fondements universels. Au sortir de l'île, miracle, je remarche.
Une rue, d'abord. Puis une autre. Bang ! Plusieurs rues. Des blocs.
Encore d'autres. L'imagination pour seule limite.
Fin d'une longue séquence hallucinée. Terminée la limite ! Fini le carcan océanique.

En sortant de l'eau j'ai foncé dans l'hélico, le taxi, l'avion. Jubilation de la distance parcourue. Cent onze mètres cinquante et des poussières, plein beaucoup.
Au terme de la fuite trône le train de banlieue. Là, comme n'importe quel tricard je vais nous sommes, allons. Voilà le trajet retour : avéré. Comme je r'viens, le train tressaute, il fait ça bien, le train. Revoilà cette condition du voyage.
Condition du rail parallèle, aussi. Réglé à vie, que c'est un drame. Je l'imagine rêvant tangente pour l'esquive, se vengeant en laissant dépasser les boulons. Mais malgré tout filer droit parallèle, vite, loin.
One way ticket. One way ticket to the moon. Le train tressaute, ma tête bouge, toutes les têtes de concert, de tous les tricards, oscillent également. Nous voilà à l'unisson, nous revoilà, unis. Unisson. Diable, comme j'aime cette absurde cérémonie.

Une autre se prépare. A cette occasion, tout mettre les pieds les jambes, et l'univers, faut ce qu'il faut. Des sacrifices également, de la chair rose, une belle assiette de charcuterie. Ou deux. Un vicaire aussi, j'y pense. Il y a justement cette petite complice tout à fait formidable, alors on ira, animés des intentions les plus malignes.

En vue des bacchanales à venir je ramasse quelques restes, mes petits morceaux d'os. Ce coup-ci, c'est le dernier de la colonne, qui restait fier et indemne. Enfin eu, brisé menu. Il sera mon offrande au réel, la petite contribution à l’holocauste qu'il faut.

Combler un marin s'avère simple.
Recette infaillible... Accueillir, d'abord, sans moucher la bougie. Nourrir, un peu, mais pas trop.
Puis poser dans un bar, ardoise ouverte. Boire et faire boire, pour de vrai. Récupérer le récipient, ce qu'il reste de l'être, cuticule bien dissoute après le bain de solvant. Coucher ce reste, il faut, longtemps. Voilà quelque chose, on croirait presque un homme.
Décuvé, bien malade ? Coiffer, raser : et voilà. Un beau marin bien refait.
Encore un filet de citron, une pincée de sel pour marier le poisson. Le regard reste perdu, toujours, c'est le vague des vagues qui précipite par là. Qu'il boive, et reboive, car tout le sel de la mer colle et subsiste. Des ondes qui le traversent encore, bientôt, plus rien. Ni les vagues, ni le reste. Bien démis, bientôt remis.

Pour la cérémonie, avec la complice, on alla, on vint, bus comme jamais. Un truc violent, intégral, dont on sortit sans un poil sec, ramassés autour du foie comme après un bon direct du droit. On s'réveilla entassé l'un l'autre, exactement comme à l'instant du jouir, emmanchés dans une de ces figures bizarres, encore demi habillés. mais où, mais toi, mais comment ? Bonjour.  Puis comme ça bouge encore toujours et plus, les têtes tressautent de plus belle. Capitaine, second et vigie filent à la passerelle. Ça déconne pas ; bien des naufrages ont eu lieu pour moins que ça.
Qui sur une île, sans faire gaffe, pan. Quinze années insulaires.
Qui à pic, plouf, grand bleu, nuit éternelle.

 Moi j'avais loué une voiture, c'était vaguement rassurant. Je n'avais peur qu'un peu d'elle, ou qu'un peu de moi, suivant le sens du virage. Les routes vont en tout sens, oscillant comme les vagues, mais toujours te ramènent à l'origine. Car il n'y a qu'un bout à l'île. Qu'une arrivée qu'un départ. Qu'un avant, qu'un arrière. Venir, revenir. T'es sur le bateau, ou t'es mouillé : logique binaire du survivant, vite acquise.
Arrivée ou départ, et billevesées que tout le reste !  Tu peux bien gloser croiser untel voir tel autre manger boire, oui, mais il n'y a qu'aux termes que se mesure la jubilation. Tu viens, tu reviens : bel et bien insulaire. Le contrôleur parfois vient tenir un peu ta main, "monsieur?, monsieur!". Petite réminiscence d'humanité, entre deux verbalisations. Il prend la mesure du vague mais bientôt se ressaisit, tend le procès verbal d'arrivée et file, joli pervers. 

Trépidations des heures de l'aube. 
Le train saute. Les têtes oscillent. Sourire, retour. 
Encore un train. Encore un tressaut. 
C'est celui du réveil, le dernier des songes. 
Ultime onde, vague finale, debout !

Il y aura des messages, je les sais déjà, il y aura des lettres, des factures, d'autres PV, toutes joyeusetés perdues qu'il faut célébrer comme autant de naissances, de retours à la vie... Bon dieu, mes tricards, mes amis, quel plaisir de rentrer.
On va manger. On va boire.
On va mal aimer, mais bien quand même. Puis tout reprendre, encore, encore. Rater, re-rater. Trouver les mêmes gestes, filer la même extase, aï, que rico ! Vous me croyez, ou pas ? Demandez à vos ventres. Il n'y a pas d'autre réalité.

Ensuite ? Ensuite rien. La vie continuera. Faudra sortir le chien, n'oublie pas la poubelle. C'est en omettant d'essentiels négligeables de cet ordre que toutes les équations se trouvent faussées. Alors l'île coule et le bateau s'envole. Faut pas déconner.
Sors le chien ! Jette la poubelle ! Ou jette le chien, habille toi du sac malodorant, c'est égal. Il convient simplement d'agir les possibles, tous, toujours. Le champs des possible fait comme un arc en ciel, tout ça, il dit,  parce que t'es resté trop longtemps au blanc néon, qui toujours fatigue, jamais ne s'éteint.

___
Le néant, vraiment, finit par avoir une consistance, tellement nous nous en informons, tellement nous le parlons avec nos mots et nos idées, alors que l'idée même en est transfigurée par nos sens et notre dérisoire entendement.

mardi 24 février 2015

AF671 - 24 février : ultramarin deux trois quatre

On est tombés sur la ville comme quatre fous.
Comme un grand fou plié en quatre.
Chacun a pris un quartier, qu'était enfin un quart de la chose, puis tous avec son nouveau truc on a défini la gouvernance. Il faudra jouer, que du jeu ! Souffrir jamais trop, sourire beaucoup. Et prendre d'insouciants coups de soleil les lendemains de cuite... La ville est à nous.

Un frère. Il y avait d'abord un frère. Puis deux puis trois puis quatre.
Mais d'abord il y a un frère, c'est le début, il faut bien commencer par quelque chose.

Il surgit du néant. D'abord il n'est pas là puis l'instant d'après, le voilà. Sorti d'une carlingue flamboyante sans passer par la case de l'enfance, les autres qui le découvrent l'ont toujours connu plus grand. L'histoire est ainsi faite d'une bonne couche de relativité.
Nous qui lisons toutes les pages de toutes les histoires depuis l'origine savons qu'avant il n'y avait rien, que le papier 50gr/m2, blanc à filigrane. Mais eux, les plus petits, désormais aussi grand, voire plus, ne savent que ça : une apparition, comme surgite du néant.


Ensuite sont venus les autres.
Fruits de la reproduction sexuée dont on connaît le délicieux principe sans trop jamais la conséquence, et dont voici l'aboutissement. D'abord unique, puis doublé, enfin : trois frère. Avec l'apparu ça fait quatre, si mes comptes sont exacts. Compte rond, jolie troupe.

Tout autour il y a des gens. Des gens qui partent, des gens qui restent.
Il y a aussi de l'eau et des requins.
Le requin. Enfin un prédateur pour l'homme.
Le requin arrive pleine balle, les dents toujours impeccablement plantées, bien nettes, c'est un truc, on peut jamais lui reprocher. Il saute sur la grève et commence un petit fox trot du meilleur effet, car le requin est bon danseur, et encore, il progresse, chaque fois un peu mieux l'animal, bientôt dans les salons ce ne seront plus qu'animaux à chaussures vernies, tout juste quelques hommes timides sur le banc de touche.

Il danse et de temps à autre attrape une boulette de viande, une humaine, de préférence, et la fait sauter sur son nez. Qu'ont donc tous les animaux à se chercher un ballon, un championnat, une coupe, serait-ce donc qu'à tous il leur faut cette baballe ? C'est complètement con, même cet élégant poisson veut sa poire pour la soif, alors il va il vient mais ce jour là n'attrape rien. Ni les gens, ni les frères. Un peu déçus, bien contents tout à la fois de ne pas perdre 5 membres inutiles et la vie qui se range dedans, on va s'ébrouer au soleil et vite reprendre le récit.


Tout autour les gens sont là, cependant dans mille ans il n'y aura plus rien, ni toi, ni eux, de tout ça.
On peut gloser, causer, passer une vie à faire et défaire l'écheveau des possibles. Ou agir ? Vite agir. Baiser ! Toujours baiser, beaucoup et bien baiser. Vivre ce qu'on peut et laisser venir.
Ou rien.
Cependant dans mille ans, ni le stylo pour se pendre. C'est demain, mille an, ça vient rapidos on ne se méfie jamais assez des millénaires, tu commences à lire un blog passionnant, ou réparer une machine diablement complexe, brosser trop soigneusement chaque dent sur chacune des cinq faces, voilà que tu relèves les yeux : poussière et ride, mille années ont passé, comme ça, hop.
Les gens, cependant. Gens qui part est parti dans un ailleurs – le même qu'ici, mais différent, tampon de la poste faisant foi. Gens qui reste est parti aussi, sans mouvement le moindre. Bien immobile, tous ses yeux biens fermés au monde, mais surtout : immobile. Echappé.
Gens qui part revient un jour, toujours revient mais jamais ne retrouve son double de pensées, laissé, échappé...

Ainsi les gens, ainsi les frères. Comme nous tous, chaque frère est dual. L'une part, part, l'autre part, reste. Tous et chacun à la fois racine et volute, désunis jusqu'au moindre détail.
Toujours mécontent d'être l'un et pas l'autre, l'autre sans l'un, jamais les deux, je gémis, me lamente, tous nous lamentons. Ce torrent de protestations réunies forme comme le fond diffus de la vie. Grognement expiatoire des éternels insatisfaits. Et le bonheur ? Flotte comme l'écume partout où ça remue un peu. Vas-y pour le saisir, c'est coton. Bel et beau, bien visible, mais drôlement dur à choper.


Il y a des gens, et quatre frères. Vous aussi ? Moi non plus. Je ne sais plus trop où j'en suis.
Quatre gens, ou des frères ? On avait la ville, chacun dual, ce qui fait huit. Je retiens deux.
Tout, beaucoup et trop, mais en somme : il n'y a plus rien. Plus rien, pas même l'idée, qu'était partie avant que le stylo ne touche terre.
L'idée née d'un échange. Le voyage né d'une idée. Il y a toujours une idée au début du voyage, qu'est jamais la même au retour, tu sais ? Comme le frère, comme les gens.
Le voyage sans idée c'est bien, à condition qu'il soit rugueux, le truc, qu'on trouve à y redire, qu'il s'y passe et plus et mieux encore, des trucs, des anodineries bien sérieuses, avec sillons bien profonds.
De toute manière on s'en fout, car l'idée du retour n'est jamais celle du départ.
C'est la tête vide du lendemain de nuit blanche.
C'est je sais pas, je rentre, sans réfléchir, grégaire et demi.
C'est vite vite vite un transport, un pain au chocolat, il faut.
Dur de faire la part de tout ça, est-ce que l'idée survit au voyage ?
Est ce que l'idée voyage ?
Est ce que l'idée tout court ?
Toute courte l'idée du début du voyage, qui l'initia, créant besoin ou fondant raison, on dira d'elle, tiens, c'est l'idée besatrice. Le voyage commence alors, avant le déplacement, dans les méandres d'une pensée mal embouchée.

Aussi l'idée, ou plutôt son absence bien avérée, est tout ce qu'il reste. Esprit vide bien rincé du retour à la capitale.
Penser tient ma valise.
Penser zut mes papiers.
Penser vite un transport. Vite la ville. Tiens, un pain au chocolat. Aaah un café.
Penser il faut tourner la clef comme ça dans la porte.
Penser à rien. Ne plus penser à rien, voilà.
L'idée rincée, l'idée est resté en voyage, peut-être.

A l'origine de cette éruction verbale, il faut une raison. Faut-il une raison ?
Je marmonne un truc, j'ai piscine, je fais, ya fête aux Sabines, et file m'enfiler une nuit d'avion sans sourciller. Faut ça. On devrait tous tomber comme ça, vlan, disparaitre reparaitre dans un autre, dans un ailleurs, jamais trop savoir ni quoi ni où
juste disparaitre
reparaitre
tous
un jour.

mardi 10 février 2015

AF185 - 10 février : life is good

Ici et là, tout libre que nous soyons de gagner nos vies,
bien ou mal, trop ou pas assez, chacun cherche, certains trouvent, paraît-il. Voire parviennent à subvenir.
C'est l'échelle de nécessité.

L'échelle de valeur, pour sa part, est sans rapport au réel. Elle est une extrapolation de nos égos mis bout à bout, bouts flaccides mais indénombrables, échelle divergente des fortunes contemporaines.

En matière de valeur et de biens, le libre arbitre n'est pas de mise. Tout contraint, tous forcés d'acquérir tout et plus, tant et bien, bien que mal, et plus si affinité.



Ainsi va-t-on, libres et contraints, d'autant plus contraints qu'on use de l'illusion de liberté. Ainsi de la liberté d'aller pousser des carrioles en fond de mine. D'autant moins libre qu'on va profond. D'autant plus contraint qu'on ose pas. D'autant plus idiot qu'on ne parvient pas à jeter cette paire de chaussure, qui pourrait servir, un jour, si on voulait. Un jour, si on pourrait. A s'échapper, peut-être ?

L'instant suivant, l'homme contraint va joyeusement pousser d'autres carrioles dans les allées d'un supermercado d'Amérique du Sud. Mais ça, c'est déjà une histoire ancienne. Bonnes affaires d'une année révolue.

Mettre les chaussures.
Partir loin, s'arrêter bien.
Trouver le trou de souris.
S'y blottir puis y aller d'une petite apnée, les yeux fermés. Voilà peut-être l'apanage du déporté volontaire : un autre trou dans le sol, une cachette où même les appels tonitruants du haut-parleur ne me parviendraient plus.
Attention – attention. All personnel
vessel is entering the five hundred meter zone
hot work or open flame are no longer permitted

La cachette, comme l'arrêt, aurait pu être n'importe où ailleurs, dans n'importe lequel de ces vides que ménage l'existence. Mais ce jour là, dans ce lieu ci : pourquoi pas ? Il était donc ce café, il y avait donc une ville. Tout autour. Ténue scintillation de la lumière. Voilà : le mode décorrélé, superbe, et la foule des inconnus.
Ici et là. Tous libres.



Chassé le brouillard d'illusions nauséabondes, toute notion de liberté abolie, apparaît l'idée de bonheur. Life is good, dit la réclame. Good surtout pour l'acheteur de ce truc là, l’acquéreur de ce machin-ci. Est-ce une blague ? Comme tout le reste, c'en est une.

Tournevis, marteau. On verra bien.
Tous bien démontés le truc et le machin qui clamaient haut et fort taisent enfin leurs promesses d'absolu. De leurs entrailles fumantes l’œil mécanique révèle quelques jolis assemblages. Au centre de chacune des machines deux éléments incongrus, l'alpha et l'oméga, portent le secret de l’hégémonie technologique. En petit caractères sur le flanc de l'un : LIFE. Gravé finement à la surface de l'autre : GOOD.
Comme il se fait un peu tard, je pousse toutes ces bricoles de la surface de la table. A la poubelle, l'enchantement ! Bien futé le mec qui saurait en rassembler les morceaux.



Ainsi du mode décorrélé. Tout est là, rien à sa place.
Sinon la tête, sur l'oreiller.
Tout good. Life rien. Is - is - is, par boite de douze. Pléthore de lundis comme un rosaire. Un mur entier de dimanches à suçoter, tu veux, dis ? Je t'en prête un ?

Un jour, après avoir bien usé la contrainte de liberté, un avion me propulse dans son corollaire obligatoire. L'acquisition à outrance, c'est pas de la tarte. Le pas lourd, la tête basse, vaincu d'avance par l'ampleur des malls de cette ville, j'avise un truc fabuleux. Lourd et fragile, à s'en péter les vertèbres. Un reflet de l'âme, j'ai cru. A coup de légère fluorescence violette des composants, la promesse d'un ailleurs, d'un meilleur.

Chargé de ce truc, marcher devint improbable.
Prendre le métro, une gageure. Un bus nous porte en soufflant jusque Chungking Mansion.
Arrivé là, un vieil indien me fournit le sac de voyage adapté. Pas cher, en toile. Sans roulette. Un détail, la roulette. Mais aussi une économie qui méritera d'être regrettée. Ces économies, ces détails, ces transports qui tous ensemble forment le récit, le fond de trame, petit bouillon à peine suffisant pour un risotto, cependant forme jolie, et voilà. Le sac se ferme, le sac s'épaule.

Ne restent plus que 10 000 km avant le point final. Long comme un retour, long retour à la vie... A chaque pas un petit craquement, à chaque craquement une vertèbre tirait sa révérence, échappait à la colonne infernale. J'ai bien ramassé les premières mais ce furent vite trop d'os, pas assez de main, que faire de tout ça ? Tout bricolage s'avère vain ! Continuer, rien que ça, pas moins que ça, voilà.



Les petites inutiles dispersées le long du tropique forment le pointillé du retour, c'est déjà une perspective, un autre départ !

Au matin suivant il restait l'homme, oh, pauvre homme, pauvre reste. Au milieu des petits fragments de la personne que sont la joie, la vie et le précieux paquet impondérable, ne brillait plus que la fatigue. Toute cette charge infinie charge, et au bout du corridor : la frontière.

Saluons la frontière.
Pas le paillasson, pas la ceinture périphérique. La seule vraie frontière, vraie du retour, pleine d'hommes pleins d'yeux pleins d'instincts, chacun observant au travers de nous, moi, tous les autres, et des sacs, surtout des sacs!, surtout des sacs en toile de Chungking Mansion, regard amusé, déjà, par l'angle bizarre de la colonne, et l'air de dire,
ah, bienvenue, libre ou contraint,
avez-vous fait un good voyage ?

___
Est-ce parce qu'aujourd'hui la lumière est différente ? 
Est-ce parce qu'il n'y a pas plus de neige aujourd'hui qu'hier ? 
Est-ce parce que quelque chose a changé ou est-ce parce que rien ne change ?

jeudi 15 janvier 2015

BA76/BA334 - 15 janvier : long cours changement

C'est ainsi fait que tout commence, tout termine.
Alors, même si tu découds décolle arrache toutes les pages, il reste toujours la couverture. Le début. Et la fin.
Le reste importe peu : du papier, de l'encre, la vie, la mort.
Le reste, c'est ce petit bouillon d'histoire qui flotte entre les deux, rempli d'un alphabet dont seuls les enfants croient encore qu'il compose un récit. Le bouillon refroidit en fumant, berçant certains, réveillant d'autres, alors que l'histoire partie ailleurs, comme le temps : continue vraiment, loin du récit.


Que voit-on, dans ce temps suspendu, si on y regarde de plus près ? Rien. Que du bleu.
Encore plus près ? Toujours rien. Que du bleu. 
Ah... Si, là. Un tout petit zoo humain que vient visiter la maman des poissons, avec sa marmaille. Tout un lot de marins roses. Il semble qu'ils ont choisi d'y être, mais personne n'est trop sûr. Ne sont pas maltraités. Nourris par les embruns. Bercés par les vagues. Il y en même qui s'amusent. J'en vois un qui rit, on va bientôt le relâcher...
Le voilà révisant son examen de libération.
Comment est l'asphalte, déjà ? Bleu, liquide ? Noir, solide ?

Pour le moment il faut attendre. Attendre. Attendre. Encore.
Attendre que le bonhomme soit vermoulu à point. Que se perde tout rudiment d'humanité. Arrive ce moment où il ne parvient plus même à préparer un café. Un café ! Confondant eau et grain, bouton et voyant, oubliant un jour de lancer la machine, négligeant le lendemain jusqu'au filtre. Tout de même, il baisse, ce qu'il baisse, disent les autres... Il va finir par tomber.
Au bien vermoulu, à ce moment précis, ajouter une semaine en mer.
Juste alors que le sac était prêt, quand l'allant commence à poindre : pan ! Et laisser mijoter. Irascible, bientôt haineux : voilà notre champion. Plus jamais fatigué ! Plus jamais jamais ! Toute bonté à la moulinette, petit point rose deviendra fou. Alors le regard fatigué ne voit plus. Ne subsistent que masques hideux sur rictus déjà peu amènes. Plus mais. Plus plus.
récupérer la chiffe molle
torréfier à flamme directe
exprimer le jus noir des pensées
enfin. laisser reposer. voilà
puis verser sur l'asphalte, noir sur noir



Finalement rendu liquide, dissous-toi dans le grand bleu.
Voilà que s'écoule... La première longueur... En liberté !
A vélo la liberté semble plus fraîche encore.
C'est tout con un vélo : gauche – droite – gauche – droite, les pieds. Un seul pied tombe sur une seule pédale et voilà que la machine se lance. Tout con. Ca tourne ça roule ça glisse, et tout simplement, avance.
Voilà bientôt 111.2m parcourus sans obstacle, sans atteindre un bout, ni même basculer dans l'océan. Le retour, alors : est avéré. La balade continue. Denfert. Montparnasse. Rue de Rennes. Pont des arts. Montorgueil. Faubourg Saint-Denis. Parc Monceau. Sans arrêt ! L'étoile. Pigalle. Magenta. Bouger ainsi hors du zoo, c'est un régal.

Ce n'est alors que le premier d'une longue série de retours.
Déjà la franche rudesse du contact à la terre.
Déjà les pieds hésitent marchent mal l'équilibre n'est pas acquis et dans le léger balancement du réel transparaît l'incurable mal de terre.
Non, des nageoires ne pousseront pas. Le point rose continue d'être humain. Mais si d'aventure de chute en glissade, choc contact, rebondissement, commençait la transformation en l'un de ces marins foutraques, affreux camarades ? Déjà la peur, ce petit bouillon amer...


Cependant, entre le début et la fin, le temps passe.
Le temps apparaît soudain, faux plat bourré de poules idiotes caquetant à l'envie. Elles font je veux!, Je veux ! A vélo c'est coton, et pendant ce mois, dans ce pays, le thème des conspirations va de toutes les béances malodorantes à toutes les esgourdes, allant venant toujours encore. Faudrait être sous-marin pour y échapper.
Reprendre un ticket pour le zoo.
Ou vite boire et bien beaucoup. La céphalée bénie nous tirera de ces ornières !
Présumer de ses forces. Oublier les contingences.
Rien de tel. Bien passivé...

Ainsi passe-t-il. 
Quelques bouteilles. Quelques jours.
Après 2 bonnes semaines, des litres et 10 000 km, tout paraît enfin ralentir. Belle immobilité, voilà. Tout d'un coup un café, l'arrêt. La lumière fait comme un flash et tout autour la ville continue son galop. 
Dans cet ailleurs qui pourrait être n'importe quel autre, parfaitement n'importe où, encore poursuivi par les furieux gallinacés, hanté par le souvenir du zoo et la lumière qui change me voilà soudain rendu. Revenu. Fichu retour infiniment lent, si rapide !



Faux plat, croyait-on ?
Il y a bien quelque chose d'une nouvelle époque, comme un début.
Renouveau en dégringolade. A ce retour j'inaugurais le mode décorrélé qui fait question. Parlant en boucle d'ailleurs et d'autres, de bleu et d'horizon, horizon du cauchemar tellement toxique si lointain si prégnant, je réalise que la crainte, comme une ride, s'est dessinée à la lumière.
Comme le souffle les mots l'homme, l'année le pays, le pinacle ahuri des religions, nos corps pas moins ardents et la lumière, le calendrier tout de go commence un nouveau cycle.

___
L'habitude a tout réduit en deux gestes et deux mouvements dont elle ne cesse d'accélérer le rythme d'exécution. La répétition marque le pas, l'habitude orchestre, l'ennui mène. Je peux maintenant y aller les yeux fermés, les oreilles bouchées à l'émeri, pieds et poings liés. Je peux me laisser porter, tranquillement, sans même prendre la peine de m'apercevoir que je suis portée par quelque chose. Ta vie n'a pas besoin de toi pour se vivre.