jeudi 6 novembre 2014

AF401 - 5 novembre : écouter la terre tourner

Vite ! 
Je tiens... à toi ! 
Je tiens pour toi, ton retour ! 
Reviens ! 
Reviteviens ! 
Re vit ici le tien ! 


Enfin endormi, une atmosphère étrange irradiait de partout. 
Me voilà comme au plumard et plein de petites voix électriques résonnent alentour. Du yaourt sonore semble se détacher comme un couplet, «l'existence n'est qu'un sursis», ça fait, répète et boucle, sur un air de comptine. Comme ça des jours des semaines des mois. Un bordel durable. 
Au début on croyait à une panne. Intermittence de la réalité, j'ai pensé. Déraillement. Un truc qui tourne ovale ou carré. L'existence démente oui, irréelle oui, tout ce qu'on voudra oui, mais quand même. Un sursis ?

Les sursis m'enquiquinent et cette chanson m'emmerde. Je m'enfonce un coton tige dans l'oreille droite, le côté de la raison. Vais voir s'il sort quelque chose. Si se réveille quelque synapse. Deux, puis dix tiges, quinze dans chaque oreille : sans résultat. Rien que les petites voix électriques.

Ainsi des jours. Des semaines. Des mois.



Pour la suite on admettra comme postulat que l'ensemble des réels est infini. Pas même un peu dénombrable, hélas. In-fi-ni. 
Partant de là, qu'on le décode ou non, l'algèbre déploie sa langue interminable. Rose ruban sans limite, où il est loisible à tous d'aller échouer. Là, aussi loin que tu ailles, l'infini te survit. D'un pas sur l'autre, gagne par petite touche. Un jour ou son lendemain, chaussure qui lâche ou paroxysme de la fatigue, il vainc, et si c'est pas encore tout de suite, c'est positivement inéluctable.

Cependant, que faire, toute limite abolie, lorsque l'on ne connaît que l'addition ? Additionner, pardi. A qui mieux mieux. Encore, plus et plus. L'époque bénie des mauvais compteurs et crashs informatiques basiques semble bien perdue... L'espoir s'amenuise de revoir un jour le zéro, néant providentiel. Quelle alternative ?

Pas d'alternative. Mais voilà qu'un jour où je refaisais mes comptes, n'y croyant plus, survint le pinacle, le lâcher prise.
Ce jour là, épuisé du réel, l'avion se posa sans me réveiller. Enfin: je dormais. Il roula encore délicatement sur un ruban imaginaire, le chien de la voisine aboya (ou était-ce la Power Transfer Unit ?), alors le signal 'attachez vos ceintures' s'éteignit et tout à la suite la vie reprit et continua. La même, identique, et tout à fait nouvelle. Voilà qu'on s'était posé dans l'ensemble imaginaire.

Un peu à l'image de ces siestes carabinées dans lesquelles on bascule après des agapes de pintades ou de barbituriques, la vie reprit comme un rêve de pleine conscience. Un songe si profond et tellement lucide que j'y vécu comme une vie, avec ses cycles, ses joies, ses peines.

Qu'était-ce, sinon vraiment un rêve ? Comme un rêve, les figures, les inspirations. Comme un théâtre, les tableaux, les actes. Comme la vie, comme l'espérance. Mais tout comme un rêve cependant...

De ce gouffre onirique le retour à la réalité n'a laissé que bribes bancales.



Alors que je tente quelques pas, le présent semble se refermer ici et partout sur des souvenirs fugaces. Par pans entiers disparaissent le monde, le peuple, l'espace qu'il y avait là. Comme les blagues qu'on s'ingénie à oublier immédiatement, voilà le rêve sublimé. Ne subsiste qu'un imperceptible nuage, bientôt : rien. Des rues, des montagnes entières s'abîment et se dissolvent, des figures plus rien, les gens, le néant. Reset! J'y étais, pourtant, ou bien, je ne sais pas. Y étais-je ?

De l’intangible expérience subsistent quelques bouteilles, une paire de chaussures à bout de souffle, de la poussière ici, et là comme l'écho d'une voix lointaine, ou quelques promesses, je ne sais plus.

Le doute est permis. Dans ce mensonge imagé les interrupteurs électriques fonctionnaient cependant, comme pour de vrai. Par ailleurs il restait possible de déchiffrer jusqu'aux plus petits caractères. Doutant toujours j'ai passé des plombes à fixer des miroirs sans cligner des yeux, cherchant l'erreur. Mais les saligauds réfléchissaient sans faillir. Alors, quelle genre de songe était-ce là ?

Imprégné de cette irréalité infaillible j'ai bien failli y croire, y rester. Puis il y eut les petites incohérences. 



Vint ce jour sans patience.
Le magasin était immense, dépeuplé, mais à la caisse s'étendait une file d'une infinie lenteur. L'infini encore, me narguait là avec superbe. Alors avisant la sortie j'ai simplement filé, empochant mes achats sans trop de ménagement, désolé les achats, désolé le ménagement, désolé les règlements administratifs et commerciaux, voilà un transfert de propriété vite et bien fait.
Bientôt j'arrivais à cette ouverture qu'on a coutume d'aménager dans le mur. Trou béant, invitation à la fuite, j'ai pensé, tiens, que serait un supermarché sans ses portes, où les hordes de pousseurs de caddies suffiraient à l'animation, subsistant de courses et de balade sans jamais y entrer ni en sortir ? 
J'arrivais à la béance. C'est là que le gardien eu ce regard d'intelligence creuse. Il semblait penser tout pareil, et aussi que, diable, sa fonction, son rêve étaient ailleurs. Singulier univers singulier. Dans cette autre réalité il m'apparut qu'il n'y avait pas, ni là, ni ailleurs, nulle part la moindre règle à suivre. Pas un individu déterminé à la faire appliquer. 
De ce jour je sus qu'aucune morale, aucune loi n'avait valeur, et pris un peu peur pour la suite, non sans écraser au passage mon poing sur le ventre du gardien toujours aussi indifférent. L'impunité à bon dos.

Sans tout à fait émerger j'ouvris un œil à ce moment, et cessais de croire à ce conte mal fagoté. Le jour arriverait bientôt. Je ne l'imaginais pas si proche, ni aussi brutal.
Bientôt viendrait le réveil, bientôt serait Paris, tout soudain. Paris où errer, comme amputé.

Comment croire qu'ailleurs puisse subsister un univers familier ? Le paradoxe de la simultanéité des vies et de l'infinité des choix tourne et tourne, frappe les tempes.
Dans l'autre monde, sur une autre hémisphère, ces hommes vivent, respirent. Pissent, éjaculent ! Enfin, vivraient, respireraient... Mais cette cabine. Rien. Comment moi homme enfant ces bras ces jambes, comment tout entier ai-je pu être l'un d'eux, manger, boire, ... aimer ?

Tout n'est pas établi. Rien n'est définitif.



Titubant encore, je note dans la marge du Pariscope les éléments chaque fois moins cohérents qui subsistent, parfois resurgissent.

"Comme toi, je connais l’oubli.
"Non, tu ne connais pas l’oubli.
"Comme toi, je suis douée de mémoire. Je connais l’oubli.
"Non, tu n’es pas douée de mémoire.
"Comme toi, moi aussi, j’ai essayé de lutter de toutes mes forces contre l’oubli.
Comme toi, j’ai oublié.
Comme toi, j’ai désiré avoir une inconsolable mémoire,
une mémoire d’ombres et de pierre.

Peut-être n'ai-je jamais été à Antofagasta.
A bien le reconsidérer il n'y avait là qu'un objet bizarre, brouillon synaptique. Une de ces allégories chères à l'inconscient. Un peuple entier disparaissant dans les trous de mine. Le battement du sang, la lumière, la poussière partout et le bruit de la mer.

A bien y réfléchir, rien d'original.
Ni même la ville où tant et plus traînant, j'échouais. Singulière, peut-être, mais parsemée d'indices équivoques. Ce n'était qu'elle, grandie comme moi par les années, blanchie comme moi par la poussière, ce meilleur mouroir: Aranda de Duero. Elle, semblable et différente. Réunis, semblables et différents.



Différente et cependant toute pareille - mêmes charmes affreux, même ennui, même fracaso, la mort de l'idée politique, l'échec de la société civile...
Au mitant du cauchemar, avide de consolation, je projetais de mémoire un chapelet de bar : los Huasquinos, bar Real, Preview, La Pizca, Rumba Mia, Lemon, Club Previa, Etnico, El Sureno,

Me voilà dans l'un d'eux.
Si vous prenez cette boisson, me lance le barman, il vous faudra quitter le comptoir, vous asseoir en salle. C'est le règlement. La loi. Je prends la boisson, j'ai dit. Mais il faut vous asseoir en salle, a geint d'angoisse l'adorable demeuré, confondant l'énoncé et l'acte, aussi mal modélisé qu'un gardien de supérette. Mais j'irai, ducon, au futur. Vous savez, le futur, un conditionnel confirmé dans un présent proche, me entiendes ? Cabron ?!
Ainsi de bar en bar, comme au magasin, tout un pan de l'imaginaire se révélait pourri. L'affrontement devint frontal et le disgusto, igual.

Heureusement il y eu Miguel. Serveur parmi d'autres. Merci, Miguel.
Les détails et les colombiens pourraient sauver le monde, un jour, comme ça. La volonté pourrait aussi; mais quelle volonté faut-il pour émerger d'un rêve ? Il suffit d'un réveil, un truc solide et fiable, un truc qui fait du bruit.

Les étreintes, les alcools, semblaient pourtant de la vie vraie. De nombreux plongeons dans l'océan frisquet m'en auraient presque sauvé mais c'est la fuite, d'abord une, puis de malheureuses fuites qui finalement firent basculer le cadre.



En rien innovante, la première fuite fut alcoolique. Me laissait hagard, foireux. Inconfortablement projeté dans d'autres imaginaires depuis la table du bar désormais complètement vide, bientôt fermé. 

La seconde fuite dans la profusion des sens, ou la profusion tout court, ou n'importe quel mot mal défini qui raconte cette soif jamais bien étanchée, encore la soif, encore cet animal heureux toujours un peu sur le retour, un mot commun, un rat gris comme un autre, fuite valable cependant. 

Le travail. Quoi ? Je réponds avant que soit exigée une troisième fuite merveilleuse qui sublime les deux autres. Une ultime. Une parfaite. 
Le travail. La troisième fuite dans le travail, simplement. Des journées inutiles bien pleines d'énergie vaine, contribuant comme tous, mieux que tous!, à façonner l'inéluctable échec, parce que la main est mauvaise, parce que ce n'est qu'un rêve un peu vilain, parce que jeu à somme nulle et soustraction négative.

Ni sportive, ni intellectuelle, rien transcendantale, l'expérience décevante est ainsi correctement décevante, va et sans anicroche déçoit, s'embourbe, se prolonge et se cul de sacquise. De même les fuites glissent simplement, un jour je grogne au chef qu'il existe un ailleurs, un différent, alors c'est lui même, quelques jours plus tard, qui écrit ma démission. Simplement comme ça, simple comme la vie.

Voilà évanoui ce pan de mémoire. 
Du qui c'était comment ce fut ne reste bientôt qu'un pâté de notes en marge de ces pages, plus quelques rêves en espagnol. D'autres indices confondants, ne font pas mieux, rien mieux : confondent.

Mais t'y a été ou pas ? C'était un rêve ? Il était bien ce rêve ? Yavait des meufes ? T'as couché avec des meufes ? Et la bouffe ? Elle était comment la bouffe, dis ? Raconte moi ! Raconte moi là-bas, dis un peu comment c'était, comment ce sera, comment ça aurait été si tu étais resté ?

_____
Rien.
De même que dans l’amour cette illusion existe, cette illusion de pouvoir ne jamais oublier, de même j’ai eu l’illusion devant Hiroshima que jamais je n’oublierai. De même que dans l’amour.
J’ai vu aussi les rescapés et ceux qui étaient dans les ventres des femmes de Hiroshima.
J’ai vu la patience, l’innocence, la douceur apparente avec lesquelles les survivants provisoires de Hiroshima s’accommodaient d’un sort tellement injuste que l’imagination d’habitude pourtant si féconde, devant eux, se ferme.
Écoute…
Je sais…
Je sais tout.
Ça a continué.

samedi 28 juin 2014

AF0085 - 28 juin : tour du monde en jetlag

Il y a perdre et se perdre.
Perdre et se perdre sont jumeaux craniopages, ils n'ont jamais été séparés. Sont dans la vie comme dans l'avion, le train, le bateau. Assis debout couchés, toujours réunis. 
Pour perdre il y a des lieux qui sont mieux que d'autres.
Ici par exemple, et maintenant. Ou encore ce coin où le citoyen toujours obligé s'incline sans jamais sourire, rapporte diligemment tous les biens perdus. Mieux, l'administration en charge de l'ordre et du retour à la due propriété développe de petits robots qui ramasseront bientôt derrière chaque citoyen toute trace de l'existence. Ce sera propre.
Perdre et se perdre au Japon, impossible, sans doute, et pourtant. Il aurait fallu essayer encore et encore.

Pour se perdre c'est égal, tout lieu vaut n'importe quel autre.
Sur une avenue downtown de cette ville, ou une autre. Là, tout un pan du monde est venu s'échouer à faire fortune, cependant même cet échec est tout mieux, tout plus grand qu'ailleurs.
Pour se perdre il convient de dissocier et diluer. Donner un peu de rien à tout le monde, être partout vite fait, nulle part bien fait. C'est très simple. Suffit d'échouer avant d'essayer.
Essayons : le dialogue ? Pas de dialogue. La main. La bouche. Ni l'un ni l'autre. Rien, et un peu moins.

Essayons encore.
Comme juillet approche, le jumeau inséparable tombe en schizophrénie récursive – chaque pensée se perd en mille échos et l'idée, l'intention, pfff, il n'y a plus rien.
Alors comme mille fois ils ont dit et répété que sabbat et tour du monde sont inséparables, la mille et unième fois fut pour perdre et se perdre, entièrement. Pendant l'opération les deux y sont restés et le monde a continué de tourner.

Puis au réveil, oh!, quel réveil!
Comme après une opération ou une naissance, le premier réveil est un drame. Les paupières comme des jumeaux adhésifs. A l'onsen deux femmes dédiées y vont de toutes leurs forces et tirent, l'une l'une et l'autre l'autre, cependant que la vapeur brûlante, mieux que tout, réussit à vaincre l'adhésif.

Les paupières écartées, une rue, je marche.
C'en est une bien particulière. De virage en virage elle se conforme si étrangement que le passant prend toujours le soleil à plein. Pas un coin d'ombre. Pas un coin. Et de courbe en courbe il pleut bientôt et carrément. Plus de soleil. Ni d'ombre. La rue s'ébroue au contact des gouttes, la voilà rectiligne et privée de tout abris.

Clignant des yeux, je mange.
...Et m'endors, immédiatement après un festin de chirashi. Collé à la chaise au comptoir au restaurant, envahi des pensées du poisson ingéré, prisonnier comme Jonas du poisson lui-même interné dans l'estomac voyageur. Le rêve s'élève en boucles, puis s'enfuit soudain au raclement de la dernière chaise du tout dernier voisin. Restaurant vide et regard inquiet du maître sushi. Les voyages ultra-marins sont toujours trop lents, trop longs, trop lointains.
Celui-ci s'achève soudain et je ne sais plus ni même dans quel pays je suis.

Le sommeil continuait de fuir et à l'origine de ce départ il n'y avait plus une nuit de repos qui vaille, plus un instant d'éveil diurne avéré.
Alors ? Dans un semi-coma ce fut l'envol, dormant grognant ronflant tant et plus. Chaque avion faisait disparaître le jour au mitant et tapait des roues pour me réveiller à l'aube, à une autre aube, dans un ailleurs. Plié, vrillé, rangé en quatre, arrive la ville, une autre ville. Dormant encore, assis sur un banc. K-O debout après chaque repas. Nouvelle ville, autre matin, mais le corps ! Attention, le corps !

Surprise - à l'apogée de cette envolée l'équipage distribuait des jours gratuits. Du 1A au 68L chaque PAX s'est trouvé gratifié d'un répit, félicité abondamment. Cris, rires, applaudissements, on s'embrassait, on échangeait un jour pour l'autre, un tiens un mien, ne sachant trop quoi faire du cadeau. Un jour de sursis. Complètement libre, tout bien vide et vierge. Devant ce temps enrayé mon voisin de coude semblait bien perdu, tout catatonique.    
En secret j'étais ravi de voir s'éloigner toutes les dates fatidiques. J'en aurais bien chipé quelques autres, gagné un jour de sommeil, repoussé la date la plus tangible, celle imminente de mon asservissement volontaire. 

Alors. As-tu fait le tour du monde ?
Non, mais délaissant un instant tout mouvement j'ai vu le monde tourner sans moi. Sans plus travail ni amour, le monde m'a entourné et chaque jour rajoutant une boucle, m'a tricoté avec les aiguilles de l'horloge un filet de mots presque aussi insensé qu'inutile.

A la fin n'avait plus d'importance. Pas de fin.
Ni perdre, ni s'être perdu, juste laisser filer maille après maille, comme l'autre qui avait coincé un bout de son pull à la station précédente.

A la fin, c'est fini fini : perdre et se perdre sont séparés.
Tout bien rendu et terminé, fini et parachevé, où sont les rêves ?
Sisi, tous ceux-là qu'après une semaine de trip cataleptique l'esprit tenait pour dû. Rêve d'un retour ultime à aucun autre semblable. Deux jours de danse sur l'asphalte, des retrouvailles comme si on allait se perdre à jamais, étreintes d'apoplectiques, l'œil dans l'œil, corps embrassés et la ville vibrerait de chaleur.

Mais voilà.
La pluie et le bruit mou des messages sans écho. Gardant le fil coûte que coûte j'ai balayé la table de tous ses artifices. Posé en son centre une bouteille de Clairin, certain du pouvoir des effluves haïtiennes.
Faudrait que ça marche. Une fois.
Que les larmes ne soient que d'alcool et joie pure, bord du verre et coin de l'œil.
Comme le niveau descendait, et rien, j'ai vérifié l'étiquette : produit en Haïti. Continué de boire, d'écrire, et croire.
Alors au retour du soleil, j'ai couché ce qui restait, cul de bouteille et le fat miens.
Effacé l'ardoise des désirs
porté le reste dans la colonne suivante
descendu ma main et là sans plus d'énergie pour rien, sans avoir le temps de réaliser, déjà, je dormais, enfin.

___
Si j'osais, si j'osais vraiment, si j'avais moins de peur et davantage de force, on ne passerait pas par les histoires, le roman, la nouvelle, on n'aurait pas besoin de ces détours et méandres charnus, on ne raconterait rien et le blanc monterait sur la page jusqu'à la noyer de silence ; on ferait ça, on serait à l'os de l'étymologie, dans le poème des choses nues et révélées, le vent, les arbres, le ciel, les nuages, la rivière, les odeurs, le feu, la nuit, les saisons. Il s'agirait de restituer un monde, de le donner à voir, mais aussi à entendre, écouter, deviner, humer, flairer, sentir, goûter, toucher,embrasser, à pleins bras, de toute sa peau, page à page, pas à pas, comme on marche, et ma place serait là, dans la rumination lente du verbe.

vendredi 20 juin 2014

AF1779 - 20 juin : bouger à tout prix


Cette ville c'est Dublin, et autre chose.
Cette histoire c'est une chanson, mais c'est aussi autre chose.
Le présent diffère et plus encore son récit. Au final ce ne sont que des mots, rien que des mots qui subsistent. Pas autre chose. A terme, qui saura dire où, et pourquoi ? Les mots hésitent, vibrent encore un peu en l'air, perturbent un instant le vol de la poussière, et nous voilà rendus, dépouillés du récit.

Les mots se taisent. Re-convoquée, la mémoire plaide l'amnésie.
Ce n'est bientôt plus qu'un mince filet de perceptions, images, odeurs. Dans le silence qui suivra le tarissement de la pensée les mots ne seront plus nulle part, mais subsisteront partout. Présence sourde, tant rassurante, si menaçante.
A chaque page du dictionnaire, le risque de décharge -pressentiment, syntonie, déréliction, apraxie, quiddité, atonie!-. Puis toujours le potentiel explosif de chaque missive - "je ne sais plus à qui je parle et à qui j'écris et qui j'espère ou qui je n'attends plus" - "contre ton obscurantisme je cherchais une langue claire et droite". Et tsétéra ? Attention !
Ils vont inutiles et discrets. Surchargés de sens et d'histoire. Sont de vieux amis dont on finit par éviter la présence trop chargée, invasive.

Mieux vaut partir. Un autre pays, où ne pas se faire entendre.
Un coin tranquille, où se conformer de silence.
 

Loin la bagarre avec des souvenirs. Des mots. Des idées.
Ils se declinent, vains, veules, changent de mode et d'orthographe pour esquiver les coups. Renvoient de plus belle le signifiant du signifié. Te pincent les yeux douloureusement après des heures de déchiffrage.

Rien que des mots.
Tu n'as pas été à Dublin !
A cette occurrence du départ ce ne sont pas encore les mots qui manquent, ni l'envie de bouger. Peut-être juste un lit, et quelques heures de sommeil ?
Il faudrait.
Il y a. Encore.
Du temps, mais plus beaucoup. Des idées, de moins en moins. Mais attention ! Le monde persiste. Demeure. les jours, les nuits, si vastes, tellement variés ! Attention ! Le dormeur toute conscience éteinte, s'efface au monde.
 Qu'est-ce qu'il se passe ?
Qu'est-ce qu'il s'est passé ?
Qu'est ce qu'il se passera ?
Rien. Que des mots, et des idées.
Tout. Les mots, et les idées.
 
Regardez cet homme. Zombie urbain, pauvre hère.
Regardez-le marcher. Regardez-le dormir.
Il est dans la ville, la ville tout autour l'entoure et pousse au départ.
Toute honte bue la carne les fringues n'en peuvent plus de tourner vides. A la cave le stock vital finit de fermenter. Bientôt il sera possible de distiller le mot pourri, tirer un de ces alcools fous, essence de vêtements et vieilles idées élimées.
Boire, et partir.
Partir, et partir.
Partis, revenus de tout...

___
As-tu idée seulement de cette folle dépense ? oui, bien sûr que oui. de cette énergie excédentaire, cette voie royale de ce qui s'écoule et se donne en pure perte, de ce qui fut glané fiévreusement dans la langue, de ce tri au tamis de la langue, précautionneux tout autant qu'impérieux, pour amener de la pensée dans le corps et du corps dans la pensée. pour faire jaillir, gicler ce geyser émotionnel. donner son visage humain à ce désordre, merveilleux désordre : l'expression du désir. voilà le but. pour que ce qui exulte puisse exulter. montant parfois, par brusques bouffées, au grenier ardent de l'inexprimé, de l'indépensé. l'âme planquée entre les plis et les replis est à déplier toute grande, sous peine d'asphyxie.

vendredi 6 juin 2014

AF1649 - 6 juin : belle échappée

Comme une sonnerie de réveil dans la chambre voisine, l'alarme retentit, sourde, implacable. L'échéance est proche désormais. Tout semble dire : maintenant. Enterré, le grand sabbat. Ce n'est plus qu'une question de jours...


La genèse de ce nouvel envol était si simple, tellement évidente sa mise en œuvre, si ténus les obstacles au départ... je ne sais pas
d'abord Téhéran allait partout, folle promesse de renouveau dans le départ, ici dans les têtes, là comme résidu de la nuit sous chaque oreiller ; souvenir d'un à-venir si prégnant que je ne savais plus dire si le voyage n'aurait pas déjà eu lieu
puis non.

Rideaux ouverts, les mêmes cendres sur la même ville, les mêmes films le même canard au même café. Chaque lendemain claquant comme un rappel,

c'était Paris, encore toujours
Paris, Paris... Voilà.
Ta grâce parfois touchante, comme le rayon d'un phare soudain illumine le paysage. Et qui l'instant d'après, ne serait plus. C'est quoi ton bordel ? L'intermittence. Intermitte, donc
il y a une tour, qu'on ne sait plus comment approcher
une ville, comme magique, pleine de prodiges.

Alors, décrire paris ?
Pour y revenir, à cette échéance, il fallut une chatte en béton. Un truc de cocu.
L'avion supposé parti depuis un bail : attendait, remuant docilement ses gouvernes. Improbable ! Il aurait convenu de toucher du bois pendant une bonne demi-heure pour se démettre du mauvais sort, mais la porte de l'avion ne baillait plus qu'à peine, aussi j'ai filé, sauté, faufilé ma carne. Alors ce ne fut plus qu'aluminium partout autour - maigre pitance de conjuration.
Comme la misère sexuelle sévit déjà, ça inaugure mal de la suite.
Panne de réacteur ? Fin du stock de kérosène. Ca va couper, chérie.
Ou, pire ?
On survolerait Paris, qui n'y serait plus. Juste un petit mot - partie en l'absence de toute affection, te souhaite bonne continuation, hasta la vista, tchus. Partie la ville, quel retour ?
L'avion commence sa descente.
Pétri du doute, j'rappelle le service pour quelques doubles bien tassés, alors le sol approche.   

Comme l'encre du fountain pen, la prostate qu'on voudrait insatiable, la joie qu'il y avait sans raison valable, tout et le reste semblent ainsi menacer de tarissement.
Feignant d'abord l'ignorance, je remarque ce petit bout de charnière pourrie, qui traîne. La valise elle même, meilleure compagnone, commence à lâcher.
Comme à tout le reste, une giclée, ici alcoolique, ou lubrifiante, encore un peu de soi, et beaucoup d'espoir contribuent à passer outre.


Il faudrait tout cependant. Tout mettre, et la vie, et son terme.
Plus passer outre. Plus repartir. 
La genèse. Les obstacles. Je ne sais pas...
La genèse de ce nouvel envol était aussi précieuse, apparition inespérée, disparition derechef, et la turbine qui tourne au mieux, comme jamais, à vide ! 

A ce retour, les mêmes murs comme choqué(e)s par la trahison qui vient. Et sortant de partout, les insectes de la maison se réunissent pour une cérémonie exceptionnelle. Faut les voir, bien alignés, entamer leur petite danse. Les deux mains applaudissent distraitement, tandis que l'esprit, échappé loin, s'applique à imaginer Paris, sans plus y être. Paris si j'y suis, si j'y serais, si nous y serions, au moins un pied, une main?, déroule ses rues et tout comme une vraie, tout comme une grande, continue seule.

Comme il sont loin les jours fous, et comme elle s'éloigne la ville. And no more shall we part. Ainsi quelques mots rebondissent encore, l’air vibre en silence, imprégné d’une belle absence. All hatchets are buried now.

Eh, si j'en parle alors, c’est que je n’ai pas de lacets à faire. Autant placer un petit bloc, tenter le filet de mots. Pour rien dire, certainement ; sans penser l'écho, jamais. Juste comme un mec lance des cailloux dans l’eau, toujours. Toujours, des cailloux, et toujours de l’eau entre ici et là, chaque fois un peu plus.

Rideau ouvert. Cendres et ville. Films. Canard.
Le reste : tout et rien, jamais comme prévu et saisi de fatigue chaque soir, par les couchers tardifs, les nuits trop courtes sur le hamac, l'alcool qui bout dans le sang, le sang qui tourne et plus rien ne semble aller nulle part 
Le reste : moi ici, toi là. Quelques mots, beaucoup de distance.
Le reste, presque rien, comme une petite série de chiffres à la droite d'une division.

Alors ? Prier pour être entendu, prier pour être écouté, ou prier avec l'espoir que personne n'en sache jamais rien ?
Et ce clavier couvert de boutons et de signes, dont aucun ne me fera jamais entendre ni revenir au contact. c'est pourtant le contact, ce truc inutile et complètement indispensable qui guide nos idées les plus fondamentales. à moins que... je ne sais pas.
Après vire et volte et quelques autres arabesques étranges dans les airs et sur les terres, Paris te reprend alors tu y poses des idées un peu partout, sans plus savoir ni quoi, ni pourquoi.
Les mémoires se convoquent, pendant que d'autres lisent
ou regardent,
vivent, rient, et peut-être dans les mots
ou sur les quais des gares, se revoient.

lundi 14 avril 2014

AF253 - 14 avril : le vide même deviendrait objet

Pour l'aimer enfin... Mais je ne sais pas !
Le coup était si fort, si blanc le flash, tant perdu l'esprit de synthèse, de ce retour, de tous les autres...
Alors, la quitter, pour de bon ?
Tout oublier ?

 A cette occurrence, remplacé le corps, voici la machine : 60 kg de câbles, tuyaux, pompes, tôles et autres. Le syntoniseur de campagne, youloulou !, pas encore bien mobile mais très simple d'emploi : il n'y a qu'un bouton, et un seul voyant. Le reste est au-to-ma-ti-que !

Voyez, là : si ça clignote rouge, il faut repartir fissa, fuir sans délai.
Orange, euh, eh bien peut-être qu'il vaut mieux partir aussi, hein. C'est qu'une petite majorité des ondes sont déphasées, de spin opposé ou autre, bref, ya du boulot.
Et vert... Ah, le vert. Très jolie couleur ma foi, façon cœur malade de printemps, nuance un peu néo-indigestive... Il y avait une promo sur les loupiotes vert d'eau, vraiment, une affaire. Vert, eh bien voilà : Paris tout entière se met au vibrato. Chacun sent, qui un picotement au bout de la verge, qui un coup de chaud non mais c'est pas possible, qu'est-ce qu'il m'arrive?, je mouille ? Alors la musique de tous les postes, de tous les instruments, soudain coïncide.
Une note. Le retour. Ce serait joli, ça.


Mais ça n'arrive guère.
Perdu le corps. A toute force remplacer le corps.
Perdue la machine. Un bel échec, machine fumante, voyant noir.
Perdu dans le retour... Échec à revenir, à oublier, à quitter, même pour de faux.
Voilà que soudain réincarné, sautant pieds joints, salto avant, salto arrière, et sur le côté?, le sol de Paris est sous mes pattes.

Vieille machine. Recette périmée.
Passé l'usage, toute appétence évanouie, surgit le dilemme du toxicomane. Tu sais ce que tu aimes, mais tu ne sais plus quel amour. Paris est là, mal fagotée, un peu grise, allongée. Ville ouverte. Ville offerte ?
Seule alternative, l'avion continue sa ligne droite. Survole une plaine interminable. Une pampa à se tordre les doigts d'impatience, pendant que le panneau indicateur au-dessus de la porte insiste – 'JUMP !' - 'JUMP !' - 'JUMP !'. Tu ferais quoi, toi ? 


Idem de ces machins modernes.
Le plus efficace et définitif pour régler leur sort, les ré-azimuther, reste de les balancer violemment au sol et passer son chemin. Une alternative, moins ruineuse, tellement raisonnable, est dictée par injonction de l'écran : jump ? Non, lance ton bras en un 8 aérien, alors tout revient à la raison. A la maison ? Presque. Un peu comme l'abeille rentre à la ruche se laver les dents et changer de chemise, indiquant au passage la direction d'un butin inédit.
Alors, réduits au néant ou remis sur les rails d'un référencement égaré, l'homme, la machine, reprennent du service, le voyant fibrille, la ville continue...

Dans la vie à nos pieds, comme dans ces mille blocs de papier dérangés-tassés, plein de mots meilleurs et bons, la réponse grelotte de n'être pas cherchée. La passion est partout, ailleurs. La passion partout, est ailleurs !
Sur ta frimousse déçue passe comme un tremblement. Ou trépasse, d'un tremblement. Tu vibres, chérie ? Ou est-ce le sol qui envoie quelque signal avant coureur d'une vraie fracture du myocarde, d'un changement ? Un de ces grand Boum!, alors il ne restera plus rien, alors tout sera disparu. Couche-toi là, auprès de la ville ! Ferme ces yeux coupables. L'impatiente immobilité sera notre lot. La grâce reste ailleurs. 
 

Dans ce nouveau plus rien, continuer de s'ajouter. Un dessus, un dessous.
Ne rien faire serait condamner l'outil. Rendu à sa fonction d'inutile, encombrant, lourd entre les jambes, vain émetteur des ondes...
Pareillement inutiles les journées, ce retour, quand Paris devient simple substrat ou piste d'atterrissage, petit abreuvoir, lieu de cantine... Le quotidien n'est plus que succession de petites fuites joies simples jours mornes, lever manger dormir et repartir?, plus jamais loin !

Ainsi un jour. Ainsi un mois.
Se passer de soi et n'être plus rien, qu'un soi-même.
Combien de temps, combien de gens, et de bruit, passent ainsi, ignorants ? Alors que la cure, la clef évidente, reste l'immobilité !
Partition de l'immobilité tant crainte... L'écran d'alerte indique en boucle : fige-toi ou meurt. Efface tout ce poids, ré-aligne toi, prends une passion, tourne autour, merde ! MERDE tout majuscule...
Ce n'était à l'origine qu'un départ pour la blague, pour la claque. Puis quelques éternités ont passé comme ça, à chercher les mots qui valent, le chemin retour. Comme ici, là-bas et partout, tout n'est que dosage et posologie.
Ici ou ailleurs ? Au piège de l'immobilité lointaine et désincarnée, la notion d'ailleurs devint presque tangible. 
 

Puis ce furent courant fort, pays lointain.
Ce fut un jeudi, encore un, puis trois, et désormais un autre, qui t’auront tiré des flammes qui jaillissent de l’écran de ton computeur. Des sorties, et d’autres, qui t’auront baladé dans Paris que j’imaginais lumineuse et tiède comme un corps nu sur les draps froissés.

Cette ville à l'absence combien douloureuse alors que le courant porte à l’opposé, et que bon nageur dans mes rêves je laisse faire sans lutter, comme il faudrait toujours, dit-on en contemplant le cadavre gonflé de cet autre mec qui peut-être n’a pas lutté plus, mais reste bien mort cependant.

Travailler le souffle alors, ce qu’il convient, nager dans les piscines, les mers, les lacs, cumuler les apnées de 5h du mat’, totalement ivre, pour épater des poules pas mieux fraîches dans un grand bocal de liquide jaune vert qu’on s’est résigné comme piscine, dans ce bout d'Asie en ébullition.
Après l’apnée, et la boisson surtout, une vilaine fatigue nous affligeait, en tout cas me fatiguait, en poursuivant le voyage. Chaque douche était comme un coup de cloche le soir de nouvel an, alors à la douzième cette vilaine gangue a fendu, et voilà que tout léger je flottais et le voyage continua.


Mon cher ami parlait du passé composé comme on fouille un cadavre, délicatement et sans espoir. Un quelque chose de précaire toujours, ainsi qu'une joie souveraine à adopter un peu le pays, j'ai cru percevoir. J'ai vraiment cru.
 
C'était loin avant le désastre, d'ailleurs on se fera au principe de réalité : plus tard, passé minuit. Là il fait encore jour, après viendront les rêves : cet entre deux qui dérange, cet entre deux qui pose défi, on va le remplir de houblon, de ouiski, de lumières clignotantes, hello misteur, want massage lady boum boum ?

Puis à la nuit tombée, bénédiction d'une treizième douche et chemise fraîche, première bière et quelque espoir de candidatures d'un autre genre... Vous dansez mademoiselle ? 

En attendant j'aime autant le silence.
Rien ne me distingue.
On ira fouiller au passé la somme de toutes les petites modifications.
Se faire nous même, fêter vous m'aime...
Désormais je te vois. Et d'une certaine manière tu vois derrière mes yeux. Tu vois, également...

___
Dans cette immense matière informe où glisse de tout son poids la chair, il y a des éclats d'âme comme des échardes qui çà et là cochent encore un peu de souffrance. Cette souffrance fugitive est la dernière trace de conscience. 

lundi 3 mars 2014

AF1735 - 3 mars : il faut tout oublier

Epilogue
A la fin ?
A la fin nous empilerons toute la vaisselle. Ce paquet de verroterie anglaise de vilaine facture, et tout le reste -souvenirs, nuit brûlante ou glaciale, pluie fine, salon immense du gentlemen's club, innombrables bières, et au sommet dans son écrin, l'échappée de l'échappée, le calepin des billets d'avion. Ce sera un truc vachement grand, avec des bols et tout.
Tu monteras au pinacle de cette tour éphémère, pour la vue, pour le sport. Agrippant comme se peut, là un chopstick, ici l'anse d'une tea cup, ira vaillante chercher tout au sommet cette jolie petite fleur qu'il faut manger, qui te fera toute chose, tout chose, enfin complètement quelque chose.
Si dans la chute qui suit, beaucoup plus longue encore que l'escalade, ton regard n'achève pas de virer, vraiment différent, infiniment autre, c'est la nique. Une abeille nous aura précédé, voleuse de fleur!, alors attention à l'atterrissage...
Dos rond, bras écartés, grand bruit, nuage de poussière. Fleur ou pas fleur, le conte comme la magie ne vaut que par la foi qu'on lui concède. Mais bienvenue au sol, quand même.
 

The International Society for Krishna Consciousness
En ces temps, chercher du boulot partout se fait vain et crevant. Aussi il convient, pour commencer, d'aller partout se chercher, et avant tout : se perdre. Puis, formule éternelle, tout bien perdu : se chercher, partout. Allant partout sans plus savoir trop où, quoi, encore se perdre, se chercher?, avec toujours l'idée que, ah, oui, tiens, ...le boulot ! C'était ça. Chercher. Peut-être ? Peut-être.

Aujourd'hui les assistants pour cette quête vont par cinq, dix peut-être, rarement mieux à cette époque. Tambourin, harmonium et foi débordante. Quand un pays scande Hare Krishna comme ça, dès l'atterrissage, ce ne peut être qu'un bon putain de présage ! Comme le claquement des roues aux jonctions des rails, ces médiums ont ce rythme aussi beau qu'irréductible, et promettent tout autant un transport vers quelque impossible nirvana. Ces gars là chanteront encore quand le monde n'y sera plus (et le boulot, toujours pas!). Alors on se lie pour quelques couplets, et cent pas de concert.

Puis il y a rendez-vous, là. Retrouvailles avec un barbu plus que barbu, un poilu en déshérence, ce fichu Adam qui les voudrait toutes, comme en rêve, mieux qu'en rêve. Et que la médiocrité des transports du réel cependant cantonne à un quotidien aux antipodes, infiniment tangible. Heureuse compromission. Que souhaiter à ses amis ? Jolie routine, sommeil réparateur, doucereux quotidien à vie, jusqu'à la mort, au moins, et au-delà...



Toujours aussi nuancé dans cette surprenante résignation, qu'orthodoxe dans ses idées de laisser penser -laisser pisser, laisser pousser, tout poil, tout enchaînement-, toute idée, tout attentat de n'importe quel explosif, sont les bienvenus sur la table envahie de flacons. On y boit, on y boira...
La vodka des retrouvailles, et la bière, puis le vin, et ainsi toute carafe à toute heure, sauf avant les cours, même avant les cours finalement, le jour, la nuit, pourquoi pas dans un autre état qui ne serait ni diurne ni nocturne et qu'on inventerait, demain matin... Même en rêve Adam doit honorer notre culte éthylique. Moi j'irai titubant sur ses pas, portant haut la caisse-écrin des saintes boutanches, décapsuleur et tire-bouchon consacrés, poursuivant le mantra, larmes aux yeux à la perspectives de futurs miracles.
hare kṛṣṇa hare kṛṣṇa
kṛṣṇa kṛṣṇa hare hare
hare rāma hare rāma
rāma rāma hare hare

Au réveil
Cuisine, évier, me reviennent à la gueule, un peu comme un meilleur cauchemar de Killofer. Pareil de sale, vivant, pourri ! Des bouteilles des bouteilles des bouteilles, et de tristes mégots. L'odeur. Et le manque de courage.
L'épreuve fait peur. Par quelle voie cette escalade ?



Tout d'abord, les cadavres : dans de grands sacs entasser les quilles, purgées de restes tristement oubliés, éventés ou tournés. Puis les cartons, plastiques, many emballages de pizza jolies qu'on disait en riant qu'elles iraient mieux décorer le mur que cuire au four. 3, 4, 5 sacs, encore des bouteilles !
Ensuite, ramasser les petits morceaux de ce pauvre verre, victime sacrificielle des pillards en extase.

Puis la vaisselle.
Encore et encore la vaisselle. Splendide stratification de déchets solides et visqueux à différents états de décomposition. Percée la croûte, d'étranges bêtes s'enfuient sans demander leur reste. J'en fige une d'un jet de savon liquide, puis la transperce d'une pointe de nylon de la brosse pour quelque étude entomologique à venir.
Fouillant des doigts les couches suivantes, un peu vivantes, vraiment visqueuses, à la manière d'un chirurgien dans la terreur du champs de bataille, trouve des boyaux encore, cadavres toujours, puis enfin la bonde qui soulage cet esprit nouveau né de son éthylocéphalie chronique. Flchuuuurpsh, fait la bête soulagée, expirant joyeusement d'un soupir séculaire ces deux semaines d'une nouvelle intelligence...

Tout, encore, toujours, jusqu'au bout la vaisselle. Quand l'inox pourri du fond de la cuve revoit enfin la lumière du jour c'est une consécration certaine. Il faut persévérer.

Puis vient le temps des surface hautes : plan de travail, évier, lavabo, guéridons, bibliothèques, murs, tous badigeonnés de poussière, graisse et gouttelettes d'alcools variés que toujours je me demande quelle personne, combien de talent, pour couvrir ainsi tant de surfaces en quelques pas de danse et lancers de verres...

C'est fait ? Il faut refaire.
Partout reprendre ces défauts que le soleil déclinant exalte. On taira les plinthes cachées dans l'ombre des coins, l'arrière des meubles, le plancher collant de tant servir de cachette aux gobelets imbuvables sous ce fauteuil, dans cet angle, toujours celui-là, toujours cet autre.

La suite est un ballet pour danseur et aspirateur, musique vrombissante, câble électrique enroulé sur la jambe, un pas en avant, jeté en arrière, puis gauche, et ainsi. Serpillière, eau chaude, savon, et rebelote.

http://www.hauserwirth.com/artists/58/estate-philippe-vandenberg/biography/

Le bon lui
Voici l'espace, le même, et complètement différent. Voici l'homme, le même et complètement exténué. La trace de ton dos dans la poussière dans la chute, a disparu. Plus rien que les immaculées surfaces. Alors conclusion, apothéose, bière et repos.
Le ménage c'est la messe, la danse, le sport et toutes les limites de l'exercice humain aux frontière de la spiritualité. Le ménage du retour c'est pareil, en mieux. C'est tout effacer pour mieux se souvenir, le trémolo intense des enceintes et les coups joyeux de l'alcool au lobe pariétal, lors du réveil.

Fin des tribulations.
A ce retour, il faut tout oublier.
Le prochain sera le bon, je sens qu'il sera le bon, il faut qu'il soit bon et que ce soit lui, le bon lui, plus que tout autre. Au prochain retour le papier plus vite que la plume, chanterons l'hymne ultime, il faut que le cerveau repose je ne parle pas des doigts, lequel rouillé, tel autre brisé qu'un flessum fixé afflige, non, le corps n'y sera plus.
Ce sera le retour comme amnésie de la page planche, comme le flash vif d'un coup porté au crâne.
On verra. On repartira, on reviendra, et alors on verra...

mardi 11 février 2014

AF347 - 11 février : qu'est-ce qu'on dit ?

"C'est tout, ou rien."
Rien ? Naaan. La garce, mon vieux. La garce faut la nourrir. Il lui faut ses petits corps mignons, pagaille de sexes jolis, pour qu'enfin elle se repaisse, un peu se calme. Puis ça ne dure jamais. La voilà bientôt qui grogne et réclame. Encore... Ma vieille, bon sang, quel appétit !
Cependant que le tout est un peu en ordre, enfin.
La table mise, chacun à sa place. Le froid, passé par là, a rétabli une saine asepsie.
Plus idée ni microbe qui traîne, que le blanc de la page et le vide des pensées. Fourchette à gauche, pointes vers le bas. Bloquée la glotte, figés les doigts, la beauté partout encore traînante. Petite cuiller, couteau. Toujours le charme fou d'être chaque jour, chaque lendemain simplement être.
 

Alors, sans même avoir plus soif plus froid plus faim, voilà le tableau. Toujours tablotant. Les idées ? Nil. Dans le secouement retrouver le sentiment de leur genèse, l'éventualité d'une vie qui continuerait au-delà du silence, malgré ce petit néant bleu.
Alors qu'est-ce qu'on dit ? C'est tout.
Le tout, c'est l'ordre. Le tout c'est le désordre aussi. Va pour le tout.


This is how you fall
Mais pour l'aimer enfin correctement, faudrait-il la quitter ?
A cette disparition la ville toute polarisée répond de mille charmes. Se fait parfaite, fatale. Aussi il conviendra, oh! surprise, de repartir sans trop attendre. Mais d'abord, savourer. Savourer la rue, rendue à la lumière. Le pied, l'œil, l'oreille, enfin libérés. La galerie des visages passants au quotidien, simplement mauvais, parfaitement ravissants. Puis les fêtes, et l'ivresse !
Il y a cette danse, trouble fête, qui répète et boucle : boom! boom! this is how you fall in love !
This is how you fall tout court, ouais, t'vas voir si le prochain avion, contrit d'amour, atterrit sur le nez. T'vas voir ! Si... la prochaine rue.
Si... la prochaine ivresse.
Si la vérité, dans le fond, et sur les bords ? 
Cependant que durablement ébranlé toujours, vient le jour, arrive la fin.


La dernière larme du Lagavulin - 16 ans- glisse amère au gosier, et on casserait volontiers cette quille vide et toute autre sur la tête du pilote pour exaucer ton vœu, danse, femme, envoûteuses.
Cependant l'avion volera. Les avions voleront. Quitte à  en prendre trois, huit, mille pour dépister le vaudou. Conjurer le sort. Brouiller la trace en pissant sur une idole amère. Fumer un poison, et revivre libre, n'importe quoi ! 
Alors Paris tout petit et l'amour, de ces deux là, de tous les autres, tout entier concentré dans les sexes tout petits si multiples, divers, infiniment variés. Tous! Rendus à l'horizon, condamnés à disparaître sous des pintes de bière. Alors le monde, comme jamais, pour toujours, sera, aura été. Continu.

jeudi 9 janvier 2014

AF393 - 9 janvier : bois sans soif, voyage sans fin

C'est un ressort comprimé, mal détendu
Clac, puis re-clac, fait la valise. Alors elle s'ouvre et une petite pagaille se répand. Forme comme une colline de sable. D'ailleurs il y en a encore quelques grains, ici, là.

Le sable. Hantise du marin maniaque.
Gniii, gniiii faisait-il, grinçant les dents
secouant le balais - il y a encore du sable ici ! Gniii !

Et dans la valise ? Olala, pas lourd. Quelques vieux ossements, muscles froissés, idées détrempées. Une pagaille, je vous assure ! Avec ça, on va pas aller loin. S'asseoir, ouf ! Souffler, ah !
Mais encore ? Bah, rien. Du linge. Sale, forcément. Réminiscence lointaine d'un visage. Souvenir de l'horizon que je ne sais même pas dire.
Puis maintenant, il faut descendre. De l'océan jusqu'au canal, par les écluses de la ville : bars, cinémas et musées, les petits incontournables.

Tout d'abord, suivant un modèle que je ne savais pas être devenu complètement caduc, j'ai été caler deux pieds sous une table. Sourire, plaisir de jouer avec les tongs encore suspendues aux orteils.
Là, il convient de patienter un peu, détailler le menu du coin de l'œil. Peut-être à cause du maillot de bain, ou quelque vilain courant d'air ? Il faisait salement froid.
Toujours là, tentant encore de chercher une rime pour l'année nouvelle, une main devant le visage, l'autre tapant la table du plat, plap, plap, aaaah, qu'en sera-t-il de deux mille quatorze ?, attendre. Et toujours pas de serveur...


 
Alors le voisin m'a poussé doucement du coude. Attention, il a fait, ma bouteille est vide, et février déjà ! Merde. Déjà nouvelle, déjà ancienne, bientôt passée, année tu parles, voilà le temps de courir, organiser la survivance, refaire le plein de jaja et penser un avenir décent.
Un travail ? Des voyages ? Déjà réussir le retour. Comme le compas continuait de tourner fou, faisant un tour complet pour repartir pleine balle dans l'autre sens, dix tours !, vingt tours !, je plantais un nouveau tire-bouchon. Pour celle-ci 5 tours, 6 tours suffiront. Bouteille, fidèle compagnonne. Et la vérité, partout un peu, vraiment nulle part.

Est-ce la ville ou le voyageur qui trahit ? Il avait suffit de partir assez loin, assez longtemps pour : voilà. Faire comme tout perdre. Cette césure de l'an nouveau laisse à terre tout un petit bricolage précis d'arrangements avec la ville, ses hommes, ses femmes, sa géographie. 
Alors je tente un pas. Trébuche.
Un autre. Et tout bascule.
L'ivresse, non, le mal de terre ? Non. C'est la gravité même, le nord magnétique, l'ensemble des repères qui subtilement a glissé, comme celles-là sur ton visage, que j'essuie, que j'embrasse, encore glissée, sécrétion partie qu'on voudrait à toute force ramener à sa source, remettre en bon ordre comme les idées les rapports de toi, de nous, de tous avec le monde, à jamais chamboulés, plus jamais, merde ! Ce monde tant arrangé, si dérangé, qui convenait tellement bien.

1er essai - dans le néant du silence, retrouver l'équilibre
Il n'y a pas d'heure tout court en vrai.
Que des idées que des mots que des lettres.
Il y a la manière, il y a la durée, il y a la liste des trois vérités intraitables, qui valent chacune prise à part et, plus encore, cumul aggravant, d'être détesté(es).
Il y a cette autre valise, apparue dans la chambre, autour de laquelle je tourne, que je hume dans mon sommeil. Un peu familière, cependant inquiétante... Chaque nuit je l'ouvre en rêve, trouve la bombe, le néant, les petites culottes, une maison dans la maison. Mais quand je finis par me décider à l'ouvrir, janvier avait cessé et elle était partie.



Fallait être bien gentil aussi pour imaginer que : 2200 miles nautiques, toute cette eau, tous ces poissons, et rien n'aurait bougé ? Tout semblait presque à sa place pourtant, la tour, la garce, le centre. Mais... La précession ! Et l'équinoxe !
Comme une montre démontée et jetée en vrac, chaque pièce bougeant encore d'un vieil élan perpétuel, ou roulant au sol jusqu'à ce trou dans la chaussée ?, plus grand chose ne subsiste. Dans la somme de toutes ces petites modifications qui laissent tout pareil et complètement différent, faudrait chercher.

Or à ce moment le serveur est arrivé, enfin. Les serveurs font ça, ils arrivent, j'arrive, il arrive. J'ai tenté un "Paris, comme toujours" mais il est resté là, louche en diable. Son regard, déjà, mi-étonné, mi-amusé. Puis violent. C'est toi, il a fait, le responsable de ce foutoir ? Et renversant le plateau de cafés froids, arrachant son tablier, il est parti.
J'ai gueulé, hein. Une gueulante de principe. Et un peu plus. Reviens abruti ! Mon café ! Mon jus d'orange ! Mais dans le fond, je savais qu'il avait juste.
Le chef, convoqué prestement, m'a expliqué. Cette longue absence. Tout ce temps. Les changements votés après la réorganisation, l'autonomie réacquise à chaque être, l'attribution d'une femme et d'une valise qui vous attendent dans la chambre monsieur, il a expliqué, c'était ça, c'était elle, voilà les nouvelles règles.



2ème essai – homéostasie
Avant tout, l'homéostasie. L'art de pasteuriser les quatre secteurs du quadrant. Javel et ammoniac. Laisse le vide gouverner ta vie. Avant tout : ne pas re-écrire, rien re-reprendre.
Laisser les mots établis faire leur lit : le piètre reste ici, le dédain trouvera sa place, chaque chose a besoin d'un nom pour être. Puis si le manque des mots pour faire écho ménage ici, là, un vide, avec le temps, la distance, le vide même deviendra objet.
Désormais plus grand chose ne semble établi. Les mots ont grandis, suffisait de partir et laisser faire ! Le tableau, n'habitant plus ni l'un ni l'autre espace de jonction reste seul à se regarder lui-même. Il se demande même pas quel est son nom. Il tableaute, simplement.
Désormais revoilà Paris, et d'autres mots, des mieux, des pas pires, des vieux, usés, des pas mieux que d'autres, des mots en pure perte, des mots déjà filés, soufflés dans l'air glacé.

Voilà comment on se retrouve un jour à tenter refaire une place dans cet océan de mots méconnaissables. En pousser un, quelques autres, s'installer inconfortablement ballotté par la houle qui virgule, qui exclame, qui trois petit pointe. Dormir ? Pas question.
Il faut recomposer avec tout ça, nouvelle année, nouveau verbe. Ou tout raser, reprendre à zéro, page blanche, virginité originelle ?

Troisième essai - sénescence
Comme je vais directement au comptoir causer au chaman de service, il fait, nt nt, inutile de rien dire, alors un croissant au beurre apparaît entre nous, flotte dans l'air sur une drôle mélodie. Waow. Très fort. Voilà quelque chose d'ordre deux, un retour plus puissant que le retour, un re-retour dans une nouvelle année.
Foin de miracle, je chope le croissant. Avale sans mâcher, gloups, puis mâche la bouche vide, parce que tout à l'envers reste le credo, parce que rien ne vaut plus qu'avant, parce que le présent advient toujours et ça fait trois putain de semaines que je suis rentré dans ce rade, merde, et je pète la dalle !

http://www.article11.info/?Sur-l-Eloge-de-la-fuite-ou-la

Un petit doute subsiste cependant. N'y a-t-il pas une manière de mieux faire, une manière de ne pas faire pire, une voie pour être différent ? Un truc qui ferait que tu reprends pied en ville comme si le départ n'avait jamais eu lieu. Comme un petit appareil de syntonisation immédiate, tu le branches et zhou, l'absence est résorbée. Comme un lien virtuel, complet et permanent, rendant la ville plus présente encore qu'au contact, malgré la distance.

Au final, supprimer la ville, il ne reste plus qu'un homme et une femme, supprimer ceux-là il n'y a plus de ville, plus rien, que le retour. La ville, quand elle a pris naissance, acquiert sa vie propre, une vie qui est du domaine de l'imaginaire, une vie qui ne vieillit pas, une vie en dehors du temps et qui a de plus en plus de peine à cohabiter avec l'être de chair, inscrit dans le temps et l'espace, qu'on avait croisé là, souriante, gratifiante, biologique...

le corps nu a la couleur du parquet, savais-tu ?
le cœur nu a la couleur du bois brut
la peau couleur bois dans l'espace nu roule,
se relève, marche de long en large
la nudité parfaitement à l'aise emplit tout l'espace,
traverse un siècle de langage