mardi 22 mai 2012

AF 257 - 22 mai : Vous n'avez pas de nouveau message

Un billet savouré, mâchouillé, suçoté
qu'était retenu, au moins, tout ça !
c'est le dernier de l'ère actuelle
et demain, mystère, mystère, il fera jour.


Se poser. Cinq secondes. Comme éternelles. Entre deux départs, deux jours, deux étreintes. La nuit se déroule. Rester alerte. Guetter l'urgence du prochain départ. Maladif, intranquille. Tourner les yeux. Attendre le coup de sifflet de la prochaine fulgurance. Ça peut être n'importe où, toujours, quelque part.


Dans ce n'importe où, on a disposé de larges canaux.
Partout à ciel ouvert, puanteur de charogne. Et je pensais : les mots, les mots ont chié dans la ville, les mots sont partout et aussi des chats malingres, et surtout des rats, à peine moins gros.
Dans ces canaux infects il faudrait crier toutes les langues, dissoudre le cri ultime, puis s'offrir un verre de ce noir breuvage alphabétique. Déguster l'ultime indigestion du verbe. Le silence accompli.


Arrivé dans ce toujours, je concentre mon attention sur un policier.
C'est l'autorité aux frontières, penchée sur mon portrait. Cherchant longuement un coin de passeport où marquer son empreinte.
J'imagine un regard suspicieux, appuyé. L'appel discret du supérieur. Choppez-le, les mecs ! On va lui faire passer le goût de la sauvette ! Eh!, tu crois quoi, petit con, que t'es libre dans ta fuite ? D'aller, venir, prendre ta dose de radiations cosmiques comme ça, bim bam ? Espèce de débile ! 
On me renverrait à mon banc. 
Oiseau mécanique, cage inoxydable. Fleur morte.


A ce quelque part, on aura donné quelque nourriture trop riche.
Immeubles et malls poussent comme ça, rangs serrés, quinze à la douzaine, luxe partout, enfants trop gras flottants dans piscines trop grandes,
rien ne circule plus bien, le dioxygène se fait gaz rare, les voitures congestionnent, et nous dedans, cuisant en diable et jurant de ne plus s'y faire prendre ! Mais, l'Asie ! Ah, l'Asie...


Encore un peu, l'Asie.
Ses rues où chat et rat ne rivalisent plus, où manger partout ce qu'on ne désire même pas, où le bruit, toujours le bruit mieux qu'à Buenos Aires, et la transition thermique si vive qui vaut cet air hagard...
On marchera jusqu'aux limites. Jusqu'au paradis, forcément. Une trace de la cité originelle. Un coin où quelques enfants, hello!, mister!, et des sourires. Marcher encore, il te reste quoi ? un peu ? ça ira !
Forçant sur les pieds, je me dis, arrêtons voir, un jour. Un jour on suspendra les vols, on lèvera les stylos. Tous les stylos à l'envers ! ça en fera des pages blanches et vaines, des histoires à ravaler, tous ces trucs que tu digères la nuit et tes yeux s'agitent en rythme, brève danse d'un extrême à l'autre et puis retour. Tout passe là-dedans.


Dans cette Asie, quand on ne l'espère plus, seulement alors, quand rien plus rien, et déjà beaucoup de fatigue, il y a enfin une petite issue.
Par cette rue où tu t'es faufilé, un autre monde, échec de l'urbanisme au cordeau, petits immeubles et ruelles calmes s'étaient cachés là tout au coeur de la cité. Bon sang ! des preuves ! des images ! un témoignage ! des coordonnées ! Disons qu'on laissera ce soin aux autres. S'échapper de là, bien tirer la grille, et vlan: revoilà les avenues, entassement de tôles, nuages de fumée. 


En Asie, pour l'immortalité, ils font un truc avec les mains.
Te choppent par la nuque. Te pincent très fort, comme la chatte son nouveau né. Alors, plus rien n'existe que la morsure, et le relâchement musculaire. En relaxation de tout, les idées s'enfuient d'abord, puis tout le reste. Respirer? Même s'oxyder paraît bien futile.
On se péroxyde à la limite, puis non.
On s'anoxyde. Puis rien.
On n'est plus rien.
Plus plus.


Vient le coup de sifflet.
Aéroport. Le soleil se boite doucement. Un clip passe en boucle dans le coin de mon oeil. Quelque avions décollent. Magnifique longueur du temps. Chaque tictac grignote cette marge qui semblait tellement absurde la veille. Le temps va pour s'arrêter dans un grincement discret.
Avant, c'était avant. Le passé. Insouciance de nos enfances. Choc du crâne et dents de lait.



Maintenant, anywhere is somewhere.
Une femme est là, dans ma cage. Elle dit, tes balades sont si fulgurantes, ça doit paraître une sirène d'ambulance. A peine là, déjà plus loin, décalé d'une octave.
C'est l'effet Doppler, le même qui rend l'homme sérieux, après l'orgasme, après l'atterrissage...  

mercredi 9 mai 2012

AF 007 - 9 mai : tout en l'air, foutre, tomber

J'avais en tête une multitude d'odeurs 
de langages de couleurs de lieux 
et je me suis dit : hop ! chaussures, bagages, avion !
un dernier tour du monde, et je rentre à la maison.

Ainsi un jour, j'aurais arrêté de voyager
fixé à une planche, elle-même fixée au sol, alors le sol unité-terrienne et moi : on ne fait plus qu'un, les jours passent, il ne s'agit plus que de vivre, sans prétendre excessivement, sans excension prétéditive, et se repasser doucement toutes les lettres de l'alphabet dans le désordre, enfoncer dans le chaos deux yeux fermés comme avant d'achever la course de la détente, le lâcher de chien, tu vois



vomir éventuellement à longs spasmes belle quantité de mots
fouiller la chyme pleine des lettres désenchevêtrées
suc gastrique, enfant chéri, ultime piscine de notre magie.


Cette magie qu'est en l'air, partout, même en bas,
en bas la magie, tout en bas, sous les rues,
la magie toujours, plus tout, plus rien, plus impossible,
la magie se délite bientôt en faits communs,
ça va toi ? Ouais, ça va.
Tu votes ? Ouais, je vote, bientôt. Je me lave les dents. Je marche dans une rue. Je regarde un chien. Tous ces trucs totalement nouveaux absolument inédits de chaque instant de l'existence, un discours rationnel vient les niveler. Le fameux poids des mots !


Les mots vont s'asseoir dessus toutes ces petites cathédrales de cristal qu'on avait assemblé. joli bruit de verre brisé. Le quotidien creuse un fossé. Les mots vont pisser dedans. Bientôt on ne se rappelle plus, ni l'odeur, la douceur, le goût de rien
il faut un contact ca-pil-laire !
il faut la peau. il faut la bouche.
il faut bien fermer sa gueule.
toujours bien fermer sa gueule.

Me taire. Et poser ma tête, ma fesse, le dos entier qui sait, sur un matelas !? C'est qu'à ce départ les chambres et lits de la cité deviennent d'impossibles idéaux. 
Minuit passé déjà, je supplie un jeune voyageur allemand de ménager une place au sol dans sa chambre. 
Ensuite il se fait quatre heures, derniers verres!, plus loquace et moins subtil, ma supplique à la viande ivre alentour tombe sur un autre refus. Je vois disparaître en double ma camarade bien avinée et toute anglaise, à moins que son double?, ou l'inverse?
C'est sans doute l'ardoise de 95$ que lui avaient laissé ses camarades. Ou ma gueule, ptête? C'est vrai, faut pas douter de rien comme ça : ma tronche lui sera tombé sur le pied, à elle, à eux, à cette ville entière. Bientôt les premiers oiseaux se marrent et le ciel s'éclairci : raté, raté, raté pour le sommeil !



Avec le sommeil : perdu, le dernier bon sens. Les ultimes idées quadratiques s'égaillent alentour. La déambulation continue comme une douce fièvre. Arrivé au coeur de la pomme, je tourne, remontant côté sépales, étamines, et de l'autre, au pédoncule, léchant tout ça jusqu'à plus soif, extrayant des pépins les mortels béta-bloquants, faisant le deuil de toute libido pour au moins, oh, toujours ! 

Quand tout bien saoulé de fatigue j'écarquillai les mirettes, c'était Queens-Jamaica Station. Bonjour le Queens! 

 
Ici, all beggars and rags, les estropiés font tapisserie...
Ici, reprendre son souffle...
Et demi-tour pour le centre où, juste débarqué, à peine mieux réveillé, mon coeur mon coeur éclate. Je cours derrière une brune croisée au hasard. La foule est si dense et dingue, on croirait quelque immense chorégraphie. Je cours toujours, elle semble survoler le trottoir avec des bottes à réaction. Et comme l'air est tendre. La cité dans toute sa splendeur, et cette fichue valise et toujours nulle part où dormir - il est 14h... Elle, si belle. Comme s'il m'était offert de découvrir Paris une toute nouvelle fois. 
Alors je retrousse mes manches et commence derechef la liste de toutes les choses. 


 De l'ordre ! De la méthode ! Quelques jours mon amour, rien que toi et moi et dix neuf millions soixante neuf mille sept cent quatre vingt seize people around. Que nous.

tu lis un livre et tu le quittes
tu manges un repas, mais tu le quittes
tu oses, et quittes
plus rien ne fait sens, tu quittes
plus rien

"Tout a une fin". Tout à la fin, c'est le retour. A ce retour... Un retour, boaf, encore le même retour, la même fatigue, le même contrôleur tapi dans l'ombre ? A ce retour. J'ai flotté encore un moment puis suis retombé, boum ! Atterrissage d'urgence sur tapis de rêves délités.


Mon premier interlocuteur dans la ville est un automate fatigué de la station des Halles. 10h passées. les agents de quai ont déserté leurs postes. Le robot me sourit et essaye de m'empoisonner d'un jus tiède et boueux. "Le véritable expresso avec une belle crème marbrée et dense". Waow ! Bienvenue ! Dur comme une noyade !

Cette journée d'atterrissage, puis appontage, puis débarquation, et encore passage en contrôle, et douane, et transport du commun vers l'immortelle capitale. Cette journée nous arrive, à moi, à tous les autres, nous arrive on ne sait plus trop comment, en pluie fine d'insignifiants. Alors ce Paris d'outre atlantique glisse très lentement vers le souvenir...
 
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Je croyais savoir voyager, quelle erreur ! De chez soi, on croit que voyage est synonyme de vacances, c'est une méprise ! Il faut mettre de côté ses habitudes sédentaires et devenir nomade, laisser son identité et devenir un inconnu, laisser ses travaux et devenir inutile ; abandonner confort, habitudes et se laisser modeler, façonner par l'inconnu, ce qui vient.