mardi 18 décembre 2012

AF3519 - 18 décembre : envol à l'arrachée

Prenons la quantité de mouvement, l'eau dans les baignoires, ou le fric qui reste encore. Pour chacun, pour tous, incrément et décrément sont contingents, indissociables : c'est le principe de conservation. 

Comme une boîte de conserve géante, ce monde a été appertisé un jour. Vous vous ferez les uns aux autres!, a ri le grand orchestrateur en mettant une touche finale à la soudure du couvercle. Alors maintenant qu'on y est, il faut s'y faire. Car, la taille de l'ouvre boîte !


Il y a l’histoire de ce gars qui, voyant partir un peu de sa vie chaque jour, passe son temps à chercher la balance, la compensation. Alors il maugrée tout le temps : en vertu de la conservation mon cul, le positif doit bien se cacher quelque part. Il cherche, cherche et maugrée encore. Puis à la fin, il meurt.
Et encore tant d’autres qu'on croise, tenants la jauge à l’envers, ou hypnotisés par le spectacle du sable qui s’écoule, qui omettent d'imaginer.
Imaginer que du début, l’horloge fonctionne en sens inverse. Imaginer qu'il faille chercher derrière, au passé, entre les souvenirs qu’on a et ceux qu’on s’invente. Les tiens, les miens, les beaux et tous les autres. Tous aussi falsifiés qu’une comptabilité bancaire.
Mais chercher la vérité, se laver les dents, pisser, pleurer : toutes choses qu’on ne fait plus que par habitude. Occasionnellement...

Un jour, tout bien repu de lumière et d’espace, ces idées naissantes en tête, je laisse sortir celui-là et prends place à mon tour : voici les chiottes du Boeing 777-300 ER.


C'est un espace à part dans l'espace à part. Un non lieu dans la conserve, si cela se pourrait. Ce local est un théâtre, où trop souvent on va se produire solo, oubliant les usages variés que confinement et duo, trio, quartet, quintet : autorisent. Ce pourrait être un théatre, un opéra ! Ou un lupanar ?
On viendrait y échanger nos salives, nos humeurs, nos excrétions. Restes de plateau repas contre gâterie sensuelle. Défourraillage de sexes impavides. Les plus riches prévoiraient un ballotin de chocolats. On exigerait des femmes qu'elles payent en mignonnettes d'alcools variés...

A peine une heure que, planant dans les effluves, je chasse ces pensées à réaction, et voilà qu'on tambourine à la paroi. Peut-être l'avion a-t-il disparu ? Seul le cabinet continue de flotter, gangrené d'une grappe de survivants que déchire urgence d'une miction imminente ou plénitude rectale...
Une annonce du pilote met cette hypothèse à mal. L’aéroplane continue de voguer bon train vers l’hémisphère froid. Moi, j'initie un comptage. Combien d’avions, combien de fois pousser cette porte, pénétrer cette boîte de transportation, verrouiller le loquet -subtile variation de la lumière-, et contempler ce visage ?



Dans le trajet aller retour de la lumière au miroir, il y a un jeu subtil de l’espace et du temps. Le temps s'écoule, l'image tranquillement se forme, à la vitesse du photon en rut. Image rapide, mais sans plus, qui se corrompt de perception et mémoire, comme le vulgarise mielleusement l'URL www.psychologies.com/Beaute/Image-de-soi/Relation-au-corps/... Foutaises ! Les photons voyagent comme nous, font leur balade et s'empressent au retour. Ils relativisent un peu, certes, mais reviennent comme tous. Appareil en bandoulière et sac rempli de souvenirs. Comme des cons.
Le voyageur tout bien bourré d'espace, de temps, d'alcool, et de ce "je" subtil des particules, pense : ouais. On pourrait faire plus simple. Éviter les périphrases, coller un profil en carton, briser les miroirs, prohiber les reflets, imposer transmission-réfraction pour tous, et bast !

Mais chiotte, miroir, photons - dans cet instant, yeux dans les yeux, passé et présent se réunissent. Les effets du retour se révèlent. Je détaille cette drôle de gueule. 



Un nez.
Une bouche.
Scalp et paire de tout le reste.
Sur le masque impavide, dix traits doux. 
L'avant veille les ongles de Cristina labouraient ça et là cette mince couche de chair et peau qui fait tant pour nous définir. Je suis vous êtes, nous sommes une personne. Un visage. Le miroir s’en fiche. Savourant la douleur, je pensais à sa dernière action de prophylaxie. Avait-elle bien frotté ses mains au savon ? Entre les doigts, et sous les ongles ? Fait des bulles, longuement, suivant les préconisations en vigueur ?
Tout ça n'était pas très douloureux, mais long. Et saignant. 
Puis sa question revenait en boucle, quoi ? quoi ? quoi, hein !?
Coopérant, un peu souffrant, j'étais prêt à oui, prêt à tout. Mais avouer la vie heureuse, l'impossible,  montrer cette tumeur de plaisir vide qui grossit à chaque excursion ? Pas une bonne idée.
Qu'est-ce que tu cherches !? qu'est-ce que tu veux !? qu'est-ce que tu fous ?
L’idéal de vie : la vacance. Je vaque.
Passe le temps, savoure le paysage.
Menacé d'écorchage par une écorché vive, retenir un sourire. Chercher quelque sujet de conversation qui nous maintienne. Tenter une nouvelle caresse, un truc qui engloberait tout plein de zones érogènes sans faire réagir les doigts.



Cristina, comme le contrôleur, questionne la vacance du passager clandestin. Celui-là, qui lit le journal par-dessus ton épaule, note ta conversation mais jamais ne s'y engage. Atterrit bientôt, et déjà cherche le pied d'appel pour un départ à venir...

A la fin les hommes trouvent la solution. 
Ils trouvent toujours la solution.
Joignant le meilleur d'eux-même, de leur coeur extrayant la pourriture ultime, ils mettent en culture une toxine butolique... Sur le nutriment de nos rêves et de nos idéaux, la méta-toxine est bientôt grosse comme ça, puis comme la boîte, et plus encore.
Libres !!! D'un boum ultime au fort relent d'égout nous dépasserons les cieux, atteindrons les dieux. Et cesserons d'être, tout à la fois. La mince affaire.

___
Qu’est-ce que l’instant présent ? C’est le moment qui contient un peu de passé, et un peu d’avenir. Il y a trois temps, et tous les trois sont le présent : le présent juste passé, celui bientôt à venir, et le présent présent qui déjà s’est échappé. Cet instant où le futur devient du passé, c’est l’instant que nous appelons «présent». 

mercredi 5 décembre 2012

AF0165 - 11 novembre : déboussolé!

Toi qui va partout, raconte donc tout ce tout. 
Ou alors juste un peu. 
Enfin, comme ton envie veut.

Un jour, Paris, c'est plus ta ville. 
Le plan s'en est dissout dans l'espace. Restent quelques éléments épars, qui laissent penser que oui, c'est bien ici, d'ailleurs j'ai les clefs, il y a une porte, je tourne, pousse. Le retour...  

Il y avait eu ce mail : self explanatory. Puis un avion m'a emmené. Singapour... Premier long courrier du sabbat - j'étais bêtement fébrile, très satisfait de mon vol.


Singapour. Aseptie urbaine. Un pays entier serré dans une ville. Une nation qui brade son passé pour faire mentir l'avenir. Plus moyen de mettre la main sur une fumerie d'opium, je râle, merde!, échoue dans un claque-bosse où j'observe longuement cette vulve offerte dans la pénombre, un soir que le drap malin avait glissé. 
A genoux sur le lit, saisi d'inanité, je me demande : voilà le but du voyage ?... Ou son origine ? 

Et ainsi de bouic en bobinard, de foutoir en boxon. Un bateau passe, Sumatra, nouveau paysage voluptueux, que j'explore, qui m'inquiète. Il y a Internet à l'hôtel. Alors, en plus de baiser, je lis mes mails. C'est commode. 
Je m'embête un peu. Mais la rue est belle et bruyante. 


Puis encore. Avion, bus, train. Toujours le signe de Vénus qui me suit, me terrorise. Dans ce nouveau pays des pubis, combien ? Quinze vagins offerts au yeux, proposés à la vente, pavanent sur scène, lançant des fléchettes, éteignant des bougies, saisissant des clous à pleins lèvres. Quel panorama formidable et lugubre. Potentiellement ruineux, je me dis...  
A cette réflexion, me faufilant entre deux videurs, j'ai laissé par derrière trois hollandais dont les cris "call the police!!!" se perdaient dans la nuit. Et mon désir en berne, qui le sauvera ?

Train, bus, jour, nuit. Là-bas, plus loin, plus profond dans ce territoire impair. Nouveau pays, et toujours la même blague. Ce coup-ci un jeune homme, tout habillé de faux charmes, soutien gorge, maquillage, petite jupe, me ballade en ville répétant comme un disque 
"me suck dick for free
"come to hotel, love you very much
"cute man...


Comme le déservice des femmes, un sort funeste, une malédiction certainement, empèsent ce voyage!
Alors le retour. 
Exsangue. 
Là, je croise un gars dans un bar, qui n'a sans doute jamais vu la frontière. Ses yeux brillent aux larmes. Il veut savoir, c'est comment, tous ces ailleurs ? 
Un hoquet me prend, je sers son bras : putain de putain, n'y pense même pas ! 

Ainsi tout le reste : rien ne va.
Charmante distorsion du plan. 
Le temps, à la limite... Mais l'espace de la ville soudain est comme, en avion, lors du pire atterrissage. Tout commence par une perte du plan : mauvaise assiette, vitesse trop importante, sortie du glide path   - rien ne va plus !


Les journées s'étirent dans le vide entre matin et soir. 
Bientôt même le sommeil a fuit. 
Tout ce temps, tout ce désir, tous ces gens deviennent les inconnues d'une impossible équation. Et moi, nullard, mordant le crayon comme damné devant la page blanche de ces journées. 
Reste la rue, et la fatigue. 
Les trottoirs anonymes, le froid. 
Le confort du refuge, vieilles amours dépérissantes...
Ici, réunir 10 personnes, les dix personnes qu'on souhaite ? Un miracle ! Improviser une rencontre ? Un mirage. Les listes s'allongent, rien ne se passe. Alors comme on l'attendait plus, la petite musique du départ résonne à nouveau, comme un ordre impérieux. Je casse mon crayon, file faire un sac. 
Rester, pourquoi rester ? 
Ecrire ? Tss.

A cette occurrence, la ville m'échappe. Jeu fumeux des dynamiques et compromis; je suis las.
Apprends à craindre cet univers familier.
Une femme m'aborde, je crie d'horreur. 
Partir !

lundi 15 octobre 2012

AF 2391 – 15 octobre : mal de toit

Et pour le 13 ? C'est un samedi ! Tu prévois de bosser ? 
Voilà mon offre : libère-toi. Je t'emmène boire un verre à l'estranger.

M'engouffrant dans un cinéma de Saint-Michel, je repense à la critique, prudente, évoquant un maître du plan fixe. Il fallait en déduire : pesant, soporifique. Le film commence. Endormissement. Dormition ? Quelques changements de plan me réveillent cependant, travaillent un beau trauma du rythme circadien. 

Film difficile, sommeil fatiguant – je note : prévoir un masque oculaire pour la prochaine séance. L'indigestion finit par me pousser à la porte. Je me lève dans les faisceaux spectraux du projecteur, et sors.


Faut dire aussi que ce matin à l'aube, avant même le réveil du muezzin, on a déclaré le retour intégral. Tout le monde largue les amarres, ultime taxi et oh-hisse les ailes pour une dernière check-list.

A cette itération la garce s'offre toute bleue en manteau glacé. Et nul château où se réfugier – la place est prise. Mon refuge précédent le cinéma est un café bruissant de mille sabirs. Un turc étale sur ses voisins le récit d'une vie en couches épaisses ; c'est fascinant et interminable. J'hésite entre les plaindre ou les envier. 
Pauvres voyageurs, juste tombés de Singapour, ils entreprennent comme mantra de protection d'énumérer toutes les compagnies qui opèrent SIN > CDG (le code IATA, ignare!). La liste est longue, les paupières me pèsent. Je pense, tiens, 1 trait d'union, Paris, juste entre les 2, ces 3 là tiennent la plume, et n'arrive jamais à 4...
La cloche du bus 47 essaye plusieurs fois de siffler la fin du rêve. Sonne le début de la plongée en parasomnie... La journée avance. 


Pour changer des moutons, recompter la somme des échecs en gestation dans cette ville. Repenser l'amour offert. S'étirer. Le sac, unique compagnon, commence à bailler aussi. Il pèse et pèse, et chaque jour un peu plus, d'un toit à l'autre. On ne m'y reprendra plus !

Chercher un toit qui tienne, changer de toi, changeons de moi, une fesse un sein jamais vraiment les mêmes et ainsi chaque jour. Dure épreuve pour mon carnet d'adresse rouillé, d'ailleurs dès le lundi je me cogne une porte, avise un pont sec et suce mon pouce, l'oublié de longue date.

Portes cochères, paliers, toilettes désaffectés, bouches du métro, culs et poitrines, je ne sais plus.  Les jours passent. Caché dans Paris, tournant ivre, privé de dentifrice, changeant de lit délaisse le corps et toujours te trompe un peu plus. 


Voilà vendredi.
Une vitrine me renvoie un reflet frappant, comme un pétard. Le sentiment d'urgence agrège soudain, je réalise mon erreur, pense un départ immédiat. Demain. Demain ! Un autre départ sans retour. Fébrile, agité, je cache ma main gauche, elle tremble comme sous la poussée TO/GA des 4 Rolls-Royce Trent 900.

Le départ effacera tout. Mensonge, lâcheté, indécision, table rase ! Et quand bien même; le lendemain, je n'y serai plus. Pieds et mains déjà enfuis, verbe incohérent, regard parti, la tête agitée par les jetstreams, le corps entier vibrant de tous les ailleurs. 

Tous sens embrouillés d'une confusion fébrile, figé d'une érection tenace qui me bat les tempes, je pense l'avion comme immense réconfort, dernier refuge, ou se serrer sur un siège bien étroit. 

Si je savais ce que je veux... Si je ne faisais pas toujours l'exact contraire de ce désir méconnu... Il n'y aurait rien ! Tout serait dissemblable ! 

mardi 9 octobre 2012

AF 7535 – 9 octobre : et puis, et puis encore ?

Un jour de septembre
Une brève nuit à Paris, puis podom podom, laissons les erreurs grandir et se multiplier, la raison en définitive n'aura raison : qu'au terme. Lorsque tous nos torts seront consommés. D'ici là, jouir – jouir – jouir, et s'enfuir parce que.



Un jour d'octobre
Je la pince la mords la bourre la tanne
mais l'auteure potentielle de ce billet, voisine de bus à cet instant, fraudeuse émérite, varie ses humeurs tant et si vite
merde ! Impossible d'en tirer un guide-mot, pas même un ah!, un oh!, une voyelle ?
Là, renfrognée quasi boudeuse,
ah non, rieuse pleine d'ironie !
Oups, soudain mélancolique, elle ne laissera rien flotter de cette crème de mots qui font mon délice. je. merde. emmerde.
Avec deux semaines d'avance la voilà peut-être décrivant quelque humeur asiatique, le doux emmerdement quotidien, ennui que nulle étreinte, nulle rencontre ne viendra picorer.


Un jour entre les deux
Voici la mer. Bleue partout. Profonde comme ça.
Une équipée fantastique. Des coups de vent, des vagues. Dans le carré on prépare de l'humain au caramel. Des corps enchevêtrés partout, la nuit, le jour, veille, sommeil, tout est confus.

Puis un jour, dans les binoculaires où on cherchait le cap, désir et frustration prennent corps. Et quel corps, quel style. Quel cul ! Le sortilège des charmeuses de serpent porte décidément bien loin. Comme les spectres à l'apogée d'une fièvre, voici le retour qui s'incarne, suce mes forces, m'hypnotise de sa danse. A l'instar d'autre magies fragiles il fallait rester discrets, rien prétendre. Mais jouir vite, c'est jouir quand même.

J'ai jouis. Ensuite c'était ce moment du voyage où malgré l'évident plaisir du quotidien, la décision du retour doucement s'impose. La déraison l'emporte. Quel sens commun ? Un sens comme brownien, en tout toujours imprévisible.


Le retour
Un vilain néon rouge clignote, indique « Paris » en mauvaise graphie. Sa lumière glauque, son intermittence t'obsèdent. A contre-sens tu t'engages, un pied, l'autre, direction n'importe où, mais ailleurs.
A l'aéroport tu captes ce fredonnement familier -Mais les vrais voyageurs sont ceux-la seuls qui partent / Pour partir; coeurs légers, semblables aux ballons / De leur fatalité jamais ils ne s’écartent- qui en évoque un autre. Pas le temps de rassembler tes mots. Voici Paris. Les bureaux. Un peu de temps libre et très vite, déjà, celui du départ.
___
« Nous avons vu des astres
Et des flots ; nous avons vu des sables aussi ;
Et, malgré bien des chocs et d’imprévus désastres,
Nous nous sommes souvent ennuyés, comme ici.

mardi 11 septembre 2012

AF 2561 - 11 septembre : je volerai tout seul !

Ce retour, ce retour 
et ce 11 septembre
c'était Paris à l'horizon, avec quelques obstacles.


Deux jours auparavant...
Le sac et moi étions posés là, sur quelque route perdue dans l'est d'un pays pas tout proche. Il y avait des chiens aussi, peu soucieux d'autre chose que la prochaine pitance. Mille bus, également, il apparaissaient par saccades, transportant les supporters du rassemblement pro-Saakachvili en capitale. En vain.
Nous seuls espérions un transport dans la direction opposé. Mais ce n'était pas moins vainement.

On ne décodera que plus tard l'échec de nos tentatives imbriquées. L'une dépendant de l'autre; l'autre, je ne sais pas, certainement liée malgré tout. Pas moins en tous cas que le sucre au café noir, la route vide aux bus pleins, quelque erreur de date ou posologie, parfois, à la naissance...
A ce petit jeu la concomitance choisie par l'auteur devient ipso facto la réalité du lecteur de fiction, s'il est docile. Et qu'il s'applique à bien déchiffrer le propos. Donc : imbriquées.

Profitant qu'aucune loi ne condamne le rapprochement entre un sac, un Mikheil et un candidat déchu aux législatives, tous trois majeurs et consentants, on pourrait dire que ce jour là : nous étions tous défaits de pouvoir et de frontière.


Au temps présent
Mais au moment des faits, les vôtres, les miens, et tous les autres qu'on ne décrira pas ici, car ils sont pléthore et cohorte -de cette quantité résultant que même de pauvre consistance, et vil intérêt, ils sont vachement forts-, au moment des faits décrits nous n'étions encore que trois entités bien distinctes. Cette affaire de masse critique, c'est un peu foule des chinois qui rit contre peur d'indignité. Vaste sujet dont chacun s'accommode comme il peut; personnellement un filet de citron, quelques gouttes d'huile olive, merci.

Au moment, donc, où on a terminé de placer des faits, défait, d'effet, on met l'énergie qu'on peut à vivre, à bouger le pouce frénétiquement à chaque vombrissement, gober des graines de tournesol, compter ses derniers petits sous avant l'échec. Sans penser plus avant, jour à suivre, entrelacs des réalités. 


Toujours sur la route, mais le 8 septembre vers 16h45, pour ceux qui seraient perdus
Pour l'une de ces deux vanités au moins je vilipendais la vieille mama arménienne qui la veille nous avait convaincus, le sac, moi, et trois autres individus, de partager un taxi pour Borjomi. 
On s'entasse collés-serrés tandis que le chauffeur recompte nos coupures. Au bout de cent mètre il s'arrête déjà pour en lâcher autant -voire plus- au pompiste, et la voiture redémarre vers ce pire cul-de-sac, alourdie de combustible. Je regarde quelques donzelles sur le bord de la route avec un air équivoque, elle (la mama) me critique vertement, ça commence bien.

Vaniteux voyageur en voie de perdition. Je ne comprendrai que le lendemain qu'était atteinte une extrémité de la piste. Tout se mettait en place pour que bientôt le retour se conjugue à l'impératif : rentre! rentrons! rentrez!
Donc, moins de 24h plus tard, c'était pfff, et demi-tour résigné vers T'bilissi. Errance dans la ville, ivresse, coup de poing. Taxi fou, empoignade d'ivrognes, dernier beurek et bus pour Erevan.

De l'exposé de ces fait s'impose logiquement que toute vie vécue à rebours, de son terme à son début unicellulaire, offrirait l'avantage de ne jamais foirer un voyage dans l'ouest de l'est, et présenterait bien d'autres agréments, dont le système pileux et le goût des seins de maman sont deux exemples significatifs, mais il y en a bien d'autres...


Dernier café (Հայկական սուրճ, pour parler local) puis... 
Paris !
Et le charme si singulier des vols du 11 septembre.
Ça commence tôt. Il faut d'abord rater le vol de la veille. Puis se représenter à l'aéroport, ce coup-ci avec un ticket. Derrière le guichet d'enregistrement, la première terroriste a même un badge Air France. Elle fait : Sorry, I cannot help you, et annule tout sec mes rêves capitales pour une sombre affaire de listage, de délais, de je ne sais pas.
Que faire...? Passer en force !
Enjambant son cadavre je cours embrasser la carlingue, savourer les odeurs de spray insecticide et de kérosène, le cliquetis du comptage, claquement de la porte : yeah !

Mais, terreur toujours, un mec déguisé en commandant nous annonce qu'il pleut, que l'ambiance de rentrée est pourrie, propose un détournement, en mer rouge, en Grèce, au Liban ? Un peu interdit à l'idée de butter le seul chef à bord depuis notre arrivée en territoire laïque, technologique et massivement carbogène, chacun pleure ce qu'il peut. Invoque fluctuat et mergitur à venir.

On continue cependant de voler dans la bonne direction, waving adieu à la religion d'état, signes de croix à tout va, monastère en-veux-tu-en-voilà, averse de chachliks bénis. Et sans dévier, durant cinq heures d'apnée, jusqu'à la certitude du retour, ce brave ciel gris, RER joli joli et mes trois contrôleurs -terreur, toujours!- qu'il faut fuir d'un pas leste en se faufilant d'un wagon à l'autre. 
Paris, terminus des volontés, comble du désir unique – être là, rentré, comptant les jours jusqu'au prochain envol. Car en vérité, ce qui fait qu'un voyage s'achève, ce n'est pas le retour mais l'imminence du prochain départ.  

dimanche 19 août 2012

Autoroute A6 – 19 août : leaving in Paris

C'est possible, ça ? Ne pas souhaiter rentrer ? 
Il semble que -
cependant à rouler toujours plein nord sur l'A6, il arrive un moment où Paris tout entier. Et plus rien autour. Soudain, c'est la ville, que elle, pleinement ville, toujours fluctuante, jamais mergiture, vide et vibrante sous les écrasants du mois d'août...


Alors un dimanche midi voilà qu'on serait rendus. Histoire de vérifier, chacun, tour à tour va répétant, variant à l'envie : abdique, résigne, se dépouille, cède... Nous revoilà, tous, vraiment rendus, totalement r-r-rendus. 
Désarmement des toboggans et ouverture des portes : on débarque la smala.
Reste la ville, la voiture et l'asphalte brûlant.
Puis, aux derniers mètres, toujours brûlants et toujours urbains, plus de voiture. Elle peine dès les premières marches et finit par renoncer, retourne au garage dans un grognement de pneus. Pauvre biche, grosse et puante. Elle ne nous survivra pas (sauf ascenseur ad-hoc) !
Clef dans la porte. Qui est là. Les mains en l'air. De fait personne n'a les mains ni en l'air ni rien, mais on ne sait jamais.

A cette occurrence c'était femme, enfants et train, voiture, valises et tout.
En famille sur les chemins du 15 août, comme pour de vrai. 

C'était un voyage pluriel... Un voyageons ? 
Alors toutes ces idées, là, sur le nœud de caoutchouc. Conventions. Frontières. Pour cette fois : oubliées ! D'accord ?


Le reste est facile. Dans la pratique, s'il vous manque une famille, adoptez ! 
Il suffit d'un groupe, disons 3 ou plus, qu'on désigne une fois pour toute : parents, frères, neveux, peu importe. C'est juste l'affaire d'une balade, on établit des lignes, une lignée, chasse le doute.
Ensuite, faut se souvenir des prénoms. Détail, mais important.
Et les liens ? On verra !

On a donc bricolé cette bulle avec de petits bouts familiers, c'était carré à bords ronds, doux comme un brevet de design informatique. Rigolo comme une étoile vibrante.
La bulle familiale se referme en cocon, les échappées se font rares, sur un vélo vers les cols, jusqu'à l'horizon des bouées, ou sous l'eau, éventuellement, mais il faut choisir : remonter ou mourir. Quitte à recommencer.



A cette occurrence la garce aura atteint une frontière indicible. Voire : impondérable.
Un sabbat d'enfer la gagne. Doigts furieux, crâne endolori, le délire des frontières, l'ivresse du retour deviennent fait quotidien. 
Désormais en gare centrale il n'y aura plus que l'arrivée. Le reste des tribulations ira rangé parmi les traverses impondérables. C'est tout le charme des décisions collégiales et inaliénables.
On décide.
J'acte.

mardi 24 juillet 2012

AF 2487 - 24 juillet : première frontière du sabbat

Bonne nouvelle ?
Les avions volent
La vie continue

Est-ce lié au choix d'écrire en érection, stylo levé, sans les mains ? 
A cette itération, quelque chose de la rémanence coutumière a quitté la ville. Une absolue déliquescence transparaît dans les coins où désormais le vernis fait défaut. La flaccidité menace. Les yeux me brûlent. Je suis inquiet. Avant longtemps la vermine grouillera...

Et pourtant ! Pour un départ en beauté, premier de longue date, nouvelle série, tous les éléments étaient réunis. Il y avait le contrôleur, le même!, toujours!, et : son sourire. Son sourire... 
Juste poli et un peu plus. 
Un petit peu trop. 
Un brin surpris de me revoir, presque déçu de m'attraper, il a établi le procès verbal sans un mot, sans un regard. Puis annoncé : 
« Voilà. Vous validerez ce coupon à l'arrivée. » 
Au départ, j'ai grogné, en réponse, au départ !
Il a ajouté : « Et n'y revenez plus »... Alors comme le froid d'une lame, la porte de l'avion s'est refermée.


C'est lié. Tous ces liens, trop de liens... Lié sans doute au début du sabbat. Voyager sans raison d'aller  ni venir, sans échéance, instille vite l'idée que : rien. Nulle part. Jamais ! 

A cette première frontière du sabbat, j'annonce au douanier : 
professional occupation – aucune !
aim of the visit – rien !
Voilà de quoi il s'agit - devenir inutile. Parfaitement inutile. Normalement inutile. Improductif du matin au soir. Stérile pour le monde. N'être plus au monde. Plus plus.
Premier malaise, alors, lorsque l'absence s'impose au milieu d'une foule. La première inclination s'impose : céder à la fuite. Partir sur invitation explorer la frange est du front dépressionnaire européen. 

Pour ce été de tous les sabbats j'ai laissé à mafemme, à maboulle, ainsi qu'à toutes les charmeuses de serpent : quartier libre. Toute latitude et entière jouissance. Même ce rôle ne m'échoit plus. La ville regorge de testostérones. 
Les enfants ? Annulés, les enfants ! Mieux que mes contemporains, je pratique le noeud de caoutchouc, comme une parenthésite dans l'existencialisation. 
On nique, on nique, puis on jette. Méiose n'est plus qu'un nom commun, un sujet de pauvre conversation. Le Courbevoie du matin roulera sans moi ! Il n'y a plus ni paroles, ni actes, ni partages, ni émotions, nuls plaisirs... Autorité, exigence, cohérence, continuité : un noeud ! 

Alors le voyage commence vraiment. 
Et au fil du voyage l'injonction du contrôleur doucement s'impose. Je ne saurais trouver aucune raison implacable de rentrer à Paris. Aucune non plus de rester ici. Inutile en fuite, te voilà bien pris ! 
Que faire du temps qui reste, lorsqu'il en reste tant ? S'enivrer. Refaire le monde. Fuir éperdument. Chercher le rien subtil, le gel de l'horloge ? Vivre l'angoisse. Écrire le désarroi.


A une frontière, j'abandonne Meuhland et la brocolinette. Ses cheveux qui poussent. Son sourire. Ce doux entre-nous. 

A la suivante toutes les bières sont servies en demi-litre. Une fraudeuse se débat vainement dans le tram. On sert un sernik savoureux à la découpe, 50 Kq (krivnis) le kilo. Je rêve désir violent, étreinte passionnée, verge tendue. 

Encore une frontière. Et une bouteille - 1/2 l de vodka bien blanche, 40% d'alcool. Ou la suivante. Ou l'autre suivante ! 
J'empochais la 1ère tout fou tout fier ; mais désormais je perds mes dents. En me mouchant vigoureusement, je parviens bientôt à extraire de petits morceaux d'encéphale. Petit amas gris, un peu sanguinolent. 
Comme d'une noix fraîche épluchant les méninges, j'en fais apparaître les circonvolutions, le marbré rouge des vaisseaux. Quelques tâches blanchâtres en surface renseignent sur l'évolution de quelque syndrome neurodégénératif. Préférant ignorer, je gobe, hop!, comme une crotte de nez. Déglutis. 


Même phénomène. Un jour lointain, un jour d'hiver africain où la reine des lutins avait posé son congé pour négligence, ou maladresse?, je détaillais mon corps dans un miroir. 
Contemplant yeux, cheveux, gencives, je constatais ça et là l'injure du temps perdu à vivre en apesanteur. Sous la peau et la chair que l'envie me dictait soudain de déchirer des ongles, je savais le crâne nu et vide, les organes, couleurs vives et variées, le mésenchyme partout translucide, comme un mauvais travail de boucherie, et partout la mort agitée de battements réguliers, dans sa belle expression. 
Mais un crâne usé aux dents jaunies ne se vend pas bien cher dans les égouts de Belleville. Si seulement je pouvais laisser un joli squelette... 

Puis finalement, je suis revenu
idées mots souvenirs restent flous
il n'y a que fesses et seins qui vaillent, dont le souvenir défie la gravité,
l'obsession de la saveur du café, le poids de la monnaie dans les poches,
furoncles tangibles de la vie qui te retiennent, même dans les rêves,
te reviennent, te gardent au plus fort de la fièvre.


Le meilleur avocat de cet AF2487 était finalement cet appendice du bout du ventre. Une charmeuse de serpent en chambre obscure lui aura soufflé quelque sortilège. Découvrant chaque matin ma verge dressée vers Paris, je me suis rendu à raison. Sa raison, contre ma perte. Et, arrivé en gare, ce fut terminus, petite mort. 

Je voudrais n'avoir jamais fait un seul voyage. Avoir choisi une femme Nobel, posséder chien et parabole, savoir prononcer je t'aime. 
Au bout du voyage rien ne subsiste du charme sublime de l'ailleurs. Désormais même la plus belle femme n'a que son corps, son pauvre corps, et la plus belle courbe qui tienne en mémoire est celle des montagnes, à l'horizon du boulevard Vitosha...


mardi 22 mai 2012

AF 257 - 22 mai : Vous n'avez pas de nouveau message

Un billet savouré, mâchouillé, suçoté
qu'était retenu, au moins, tout ça !
c'est le dernier de l'ère actuelle
et demain, mystère, mystère, il fera jour.


Se poser. Cinq secondes. Comme éternelles. Entre deux départs, deux jours, deux étreintes. La nuit se déroule. Rester alerte. Guetter l'urgence du prochain départ. Maladif, intranquille. Tourner les yeux. Attendre le coup de sifflet de la prochaine fulgurance. Ça peut être n'importe où, toujours, quelque part.


Dans ce n'importe où, on a disposé de larges canaux.
Partout à ciel ouvert, puanteur de charogne. Et je pensais : les mots, les mots ont chié dans la ville, les mots sont partout et aussi des chats malingres, et surtout des rats, à peine moins gros.
Dans ces canaux infects il faudrait crier toutes les langues, dissoudre le cri ultime, puis s'offrir un verre de ce noir breuvage alphabétique. Déguster l'ultime indigestion du verbe. Le silence accompli.


Arrivé dans ce toujours, je concentre mon attention sur un policier.
C'est l'autorité aux frontières, penchée sur mon portrait. Cherchant longuement un coin de passeport où marquer son empreinte.
J'imagine un regard suspicieux, appuyé. L'appel discret du supérieur. Choppez-le, les mecs ! On va lui faire passer le goût de la sauvette ! Eh!, tu crois quoi, petit con, que t'es libre dans ta fuite ? D'aller, venir, prendre ta dose de radiations cosmiques comme ça, bim bam ? Espèce de débile ! 
On me renverrait à mon banc. 
Oiseau mécanique, cage inoxydable. Fleur morte.


A ce quelque part, on aura donné quelque nourriture trop riche.
Immeubles et malls poussent comme ça, rangs serrés, quinze à la douzaine, luxe partout, enfants trop gras flottants dans piscines trop grandes,
rien ne circule plus bien, le dioxygène se fait gaz rare, les voitures congestionnent, et nous dedans, cuisant en diable et jurant de ne plus s'y faire prendre ! Mais, l'Asie ! Ah, l'Asie...


Encore un peu, l'Asie.
Ses rues où chat et rat ne rivalisent plus, où manger partout ce qu'on ne désire même pas, où le bruit, toujours le bruit mieux qu'à Buenos Aires, et la transition thermique si vive qui vaut cet air hagard...
On marchera jusqu'aux limites. Jusqu'au paradis, forcément. Une trace de la cité originelle. Un coin où quelques enfants, hello!, mister!, et des sourires. Marcher encore, il te reste quoi ? un peu ? ça ira !
Forçant sur les pieds, je me dis, arrêtons voir, un jour. Un jour on suspendra les vols, on lèvera les stylos. Tous les stylos à l'envers ! ça en fera des pages blanches et vaines, des histoires à ravaler, tous ces trucs que tu digères la nuit et tes yeux s'agitent en rythme, brève danse d'un extrême à l'autre et puis retour. Tout passe là-dedans.


Dans cette Asie, quand on ne l'espère plus, seulement alors, quand rien plus rien, et déjà beaucoup de fatigue, il y a enfin une petite issue.
Par cette rue où tu t'es faufilé, un autre monde, échec de l'urbanisme au cordeau, petits immeubles et ruelles calmes s'étaient cachés là tout au coeur de la cité. Bon sang ! des preuves ! des images ! un témoignage ! des coordonnées ! Disons qu'on laissera ce soin aux autres. S'échapper de là, bien tirer la grille, et vlan: revoilà les avenues, entassement de tôles, nuages de fumée. 


En Asie, pour l'immortalité, ils font un truc avec les mains.
Te choppent par la nuque. Te pincent très fort, comme la chatte son nouveau né. Alors, plus rien n'existe que la morsure, et le relâchement musculaire. En relaxation de tout, les idées s'enfuient d'abord, puis tout le reste. Respirer? Même s'oxyder paraît bien futile.
On se péroxyde à la limite, puis non.
On s'anoxyde. Puis rien.
On n'est plus rien.
Plus plus.


Vient le coup de sifflet.
Aéroport. Le soleil se boite doucement. Un clip passe en boucle dans le coin de mon oeil. Quelque avions décollent. Magnifique longueur du temps. Chaque tictac grignote cette marge qui semblait tellement absurde la veille. Le temps va pour s'arrêter dans un grincement discret.
Avant, c'était avant. Le passé. Insouciance de nos enfances. Choc du crâne et dents de lait.



Maintenant, anywhere is somewhere.
Une femme est là, dans ma cage. Elle dit, tes balades sont si fulgurantes, ça doit paraître une sirène d'ambulance. A peine là, déjà plus loin, décalé d'une octave.
C'est l'effet Doppler, le même qui rend l'homme sérieux, après l'orgasme, après l'atterrissage...  

mercredi 9 mai 2012

AF 007 - 9 mai : tout en l'air, foutre, tomber

J'avais en tête une multitude d'odeurs 
de langages de couleurs de lieux 
et je me suis dit : hop ! chaussures, bagages, avion !
un dernier tour du monde, et je rentre à la maison.

Ainsi un jour, j'aurais arrêté de voyager
fixé à une planche, elle-même fixée au sol, alors le sol unité-terrienne et moi : on ne fait plus qu'un, les jours passent, il ne s'agit plus que de vivre, sans prétendre excessivement, sans excension prétéditive, et se repasser doucement toutes les lettres de l'alphabet dans le désordre, enfoncer dans le chaos deux yeux fermés comme avant d'achever la course de la détente, le lâcher de chien, tu vois



vomir éventuellement à longs spasmes belle quantité de mots
fouiller la chyme pleine des lettres désenchevêtrées
suc gastrique, enfant chéri, ultime piscine de notre magie.


Cette magie qu'est en l'air, partout, même en bas,
en bas la magie, tout en bas, sous les rues,
la magie toujours, plus tout, plus rien, plus impossible,
la magie se délite bientôt en faits communs,
ça va toi ? Ouais, ça va.
Tu votes ? Ouais, je vote, bientôt. Je me lave les dents. Je marche dans une rue. Je regarde un chien. Tous ces trucs totalement nouveaux absolument inédits de chaque instant de l'existence, un discours rationnel vient les niveler. Le fameux poids des mots !


Les mots vont s'asseoir dessus toutes ces petites cathédrales de cristal qu'on avait assemblé. joli bruit de verre brisé. Le quotidien creuse un fossé. Les mots vont pisser dedans. Bientôt on ne se rappelle plus, ni l'odeur, la douceur, le goût de rien
il faut un contact ca-pil-laire !
il faut la peau. il faut la bouche.
il faut bien fermer sa gueule.
toujours bien fermer sa gueule.

Me taire. Et poser ma tête, ma fesse, le dos entier qui sait, sur un matelas !? C'est qu'à ce départ les chambres et lits de la cité deviennent d'impossibles idéaux. 
Minuit passé déjà, je supplie un jeune voyageur allemand de ménager une place au sol dans sa chambre. 
Ensuite il se fait quatre heures, derniers verres!, plus loquace et moins subtil, ma supplique à la viande ivre alentour tombe sur un autre refus. Je vois disparaître en double ma camarade bien avinée et toute anglaise, à moins que son double?, ou l'inverse?
C'est sans doute l'ardoise de 95$ que lui avaient laissé ses camarades. Ou ma gueule, ptête? C'est vrai, faut pas douter de rien comme ça : ma tronche lui sera tombé sur le pied, à elle, à eux, à cette ville entière. Bientôt les premiers oiseaux se marrent et le ciel s'éclairci : raté, raté, raté pour le sommeil !



Avec le sommeil : perdu, le dernier bon sens. Les ultimes idées quadratiques s'égaillent alentour. La déambulation continue comme une douce fièvre. Arrivé au coeur de la pomme, je tourne, remontant côté sépales, étamines, et de l'autre, au pédoncule, léchant tout ça jusqu'à plus soif, extrayant des pépins les mortels béta-bloquants, faisant le deuil de toute libido pour au moins, oh, toujours ! 

Quand tout bien saoulé de fatigue j'écarquillai les mirettes, c'était Queens-Jamaica Station. Bonjour le Queens! 

 
Ici, all beggars and rags, les estropiés font tapisserie...
Ici, reprendre son souffle...
Et demi-tour pour le centre où, juste débarqué, à peine mieux réveillé, mon coeur mon coeur éclate. Je cours derrière une brune croisée au hasard. La foule est si dense et dingue, on croirait quelque immense chorégraphie. Je cours toujours, elle semble survoler le trottoir avec des bottes à réaction. Et comme l'air est tendre. La cité dans toute sa splendeur, et cette fichue valise et toujours nulle part où dormir - il est 14h... Elle, si belle. Comme s'il m'était offert de découvrir Paris une toute nouvelle fois. 
Alors je retrousse mes manches et commence derechef la liste de toutes les choses. 


 De l'ordre ! De la méthode ! Quelques jours mon amour, rien que toi et moi et dix neuf millions soixante neuf mille sept cent quatre vingt seize people around. Que nous.

tu lis un livre et tu le quittes
tu manges un repas, mais tu le quittes
tu oses, et quittes
plus rien ne fait sens, tu quittes
plus rien

"Tout a une fin". Tout à la fin, c'est le retour. A ce retour... Un retour, boaf, encore le même retour, la même fatigue, le même contrôleur tapi dans l'ombre ? A ce retour. J'ai flotté encore un moment puis suis retombé, boum ! Atterrissage d'urgence sur tapis de rêves délités.


Mon premier interlocuteur dans la ville est un automate fatigué de la station des Halles. 10h passées. les agents de quai ont déserté leurs postes. Le robot me sourit et essaye de m'empoisonner d'un jus tiède et boueux. "Le véritable expresso avec une belle crème marbrée et dense". Waow ! Bienvenue ! Dur comme une noyade !

Cette journée d'atterrissage, puis appontage, puis débarquation, et encore passage en contrôle, et douane, et transport du commun vers l'immortelle capitale. Cette journée nous arrive, à moi, à tous les autres, nous arrive on ne sait plus trop comment, en pluie fine d'insignifiants. Alors ce Paris d'outre atlantique glisse très lentement vers le souvenir...
 
___
Je croyais savoir voyager, quelle erreur ! De chez soi, on croit que voyage est synonyme de vacances, c'est une méprise ! Il faut mettre de côté ses habitudes sédentaires et devenir nomade, laisser son identité et devenir un inconnu, laisser ses travaux et devenir inutile ; abandonner confort, habitudes et se laisser modeler, façonner par l'inconnu, ce qui vient.

mardi 10 avril 2012

AF 417 - 10 avril : leaving in Paris

il faut il faut il faut
que je, que je... que... je
ce truc, ce machin, j'ai fait une liste, là!, regarde
des trucs, compiler, écrire, des gens, rencontrer voir parler
mais l'atonie. l'atonie... 
comme une nouvelle molécule : "mélatonie" ?
ooooh. ce bureau. ces claviers. ces gens. ces listes. ces trucs.
ne rien faire. traîner. ces heures. ces idées. traîner des envies.

il faut tout capturer avec ton oeil gauche.
les impressions. laisser frémir. ta narine.
tout saisir, prendre avec les dents.
mâcher longuement. tout avaler. le goût des choses.
chaque bouchée, tout du monde. et à la dernière, une bonne gorgée de sang du martyr, déglutition!, sommeil.
aucun orgasme qui vaille ce festin ! nectar des impressions ! à ce départ, une ville au petit goût de sel, chaleur de fin d'été, résidu de sudation, osmolarité du plasma... 


il faut ce monde. tout comme la pièce, un monde qui finirait par ne jamais retomber, et sur ses deux faces c'est le printemps, c'est l'automne.
il faut repartir. alors un jeudi soir, je la relance : et... fais face !
revoilà un pays, revoilà un ami, une nation, sa monnaie, on se réjouit que tout soit tellement identique, et si différent. la lumière n'accroche plus pareil. ni le regard. combien de temps a passé ?

il faut grandir. le temps fait ça, il passe. on grandit. évitant toujours plus mal la plastification cérébrale. on inventera le cerveau visco-élastique, tu sais, à grand renfort de solvant éthylique. aucune synapse n'y sera plus en regard d'un même neurone trop longtemps. PLOP, qu'elle fera, se déconnectant, repartant à la dérive des idées vagues. 
le regard aura cette intermittence, aussi.
on ne saurait plus vraiment dire s'il est, jamais.


être où ? où suis-je ?
mal assis. mais où ?! puni en demeure, il est temps de te réinventer, toujours. 

il y a le décollage et l'atterrissage, bien sûr. entre les deux : demore. beaucoup d'apesanteur. des instants où ni les mains ni les pieds ni les yeux. plus rien n'est au monde !
somnolence volée partout. plein d'images en tous sens. impression désormais vague. la ville est basse et tranquille. bonheur des balades toutes simples, à bicyclette.

derrière cette façade, par l'étroit hublot de la conscience, on discerne vaguement une intention pure. l'atonie a rongé le reste. de la tour unique, passive, féminine, dissoute à l'horizon, ne reste qu'un porte clef, sosie ridicule. les pays, les paysages défilent. dans les grandes plaines de l'ennui quelques nymphes s'égaillent en piaillant, tchip thcip tchip pourchassées par de féroces lapins...


il faut du café ! on boira tous les cafés qu'il faudra. les bons, les amers, les ratés, les aqueux, au filtre, ou espresso. celui de la Hellem. mâchant et recrachant nos contemporaines capsules d'aluminium.
tout ce qu'il faudra pour survivre au temps du rêve, s'imposer une conscience minimale à ce monde des-errances !

voilà.
je m'étire,
je pense ouille, je pense chouette
je pense à toi, Paris... subrepticement ces excursions se font de moins en moins voyage. on s'invente l'impesanteur par le jeu des disparitions à haute fréquence. voyager devient... secondaire ? tertiaire ! inutile.
ce ne sont plus désormais qu'intermittences, ailleurs. apparitions fugaces. empreinte sur la trame d'une lointaine caméra de surveillance. preuve d'achat au duty free. trace d'un appel en indicatif exotique. l'étranger !!!!
voyager me préoccupe. je me souviens de ces incursions dans l'ailleurs. sourire triste sur fond de paysage lunaire. pratique d'un autre temps. désormais, balayer prestement l'essentiel : apparaître, être, disparaître. être au monde. être peut-être. ainsi soit-il !


___
Les rues se font désertes et deviennent plus noires.
Je chancelle comme un homme ivre sur les trottoirs.
J'ai peur des grands pans d'ombre que les maisons projettent.
J'ai peur. Quelqu'un me suit. Je n'ose tourner la tête.
Un pas clopin-clopant saute de plus en plus près.
J'ai peur. J'ai le vertige. Et je m'arrête exprès.